Textes inédits de Stéphane Kervévan

Retrouvez en exclusivité des textes inédits de Stéphane Kervévan auteur de Le souffle du diable.

Bonne lecture !

Le souffle du diable de Stéphane Kervévan

Librairie

Entrer dans une librairie.
Laisser son regard traîner en direction des rayons, immobile.
Puis se laisser aller à caresser la couverture des livres.
Les ouvrir et humer cette odeur de papier tellement enivrante, les pages glissant
doucement entre les doigts fébriles.
Regarder au hasard des premières de couverture.
Se laisser séduire et lire la quatrième.
Recommencer tranquillement sans angoisser de se faire prendre au jeu.
Et tout à coup on sait, puis on ne sait plus, on tergiverse.
On revient sur l’un, on retourne sur l’autre, sans doute de peur de trop en acheter.
Le champ se réduit.
On lit les premières pages.
Le cœur bat.
Et enfin le choix est fait, c’est une certitude,
On prend délicatement le livre tel un trésor subtilisé au libraire.
On le serre contre sa poitrine et on file vers la caisse de peur de se le faire
voler, comme s’il était le seul en rayon à parader..
Et puis cette attente excitante de pouvoir enfin le lire…
Ivresse de soirées livresques.

  

Délivrance

Il existe des méthodes infinies
Pour faire naître les formes
De toutes les matières.
Comme modeler l’argile pour lui donner la vie.
Comme ciseler la pierre pour accorder la vie
Au granite rose ou gris.
Comme tourner un bastaing de bois blanc
Pour en faire la toupie qui tourne et virevolte
En toute liberté.
Il en existe une pour façonner l’esprit et éclairer nos vies. Dans le grand chifoumi de
Notre éducation la feuille est victorieuse de la pierre la plus rude.
Les feuilles réunies nous livrent la victoire sur tous les obscurantismes.
Les feuillets assemblés nous racontent des histoires en sculptant nos pensées.
Et comme un diamant brut taillé par le laser,
Lire offre la lumière comme la plus dure des pierres.
Et dans ce statuaire, en toute modestie, le livre nous délivre et ancre nos pensées.

Page Blanche

Aujourd’hui, j’ai été obligé de consulter mon collègue, Monsieur Azerty, il ne manque
pas d’R.
Ce dernier me regardant au travers de l’écran tel un miroir sans tain, tête baissée,
menton posé sur les mains ouvertes en éventail, en prière de retrouver l’inspiration; il
m’a interpellé!
Azerty a souhaité me soutenir en constatant que la page en cours restait blanche,
après avoir participé à l’alignement de près de 400 000 lettres de caractère pas
toujours facile, de 40 000 mots quelque fois difficiles à choisir, de phrases construites
et déconstruites.
Il a mesuré l’oxygénation de mon sang et donc de mon cerveau, grâce à sa touche
contrôle à l’extrême gauche (non ! mon clavier n’est pas politisé) puis m’a fait
comprendre que j’étais depuis trop longtemps sur la touche F9 : pause, qui ne
repose pas.
Azerty, m’a pris en photo avec la touche 12 et a laissé tomber son verdict: Stéphane,
tu es atteint du syndrome de leucosélophobie, tu as perdu le fil de tes pensées
égarées!
Leucosélophobie? J’en suis resté bloqué, bouche bée, locution adverbiale de l’auteur
étonné, le doigt sur le clavier, plus précisément sur le Q, première de la seconde
rangée….
J’ai immédiatement interrogé son ami Google pour prendre quelques
renseignements sur cette pathologie, est-ce grave? Un traitement (pas de texte)
serait-il nécessaire pour y remédier?
Et j’appris que j’étais atteint du syndrome de la page blanche!….je m’étais pourtant
donné carte blanche pour écrire ce roman noir! Et de but en blanc, Azerty m’a
transpercé à l’arme blanche, une lame de fond, d’incertitude et de doute.
Et là, après réflexion je me suis entendu dire: heureusement que cet acteur de
clavier ( non, pas lui) n’est pas un Qwerty! Imaginez le drame, il a été mis au point
par l’armurier Remington…il me l’aurait mis au poing!
Face à cette leucobidulemachin, j’ai fait face, tête haute, prêt à prendre tous les
risques. Vite verrouiller Azerty!
J’ai procrastiné, remis au lendemain puis au surlendemain mais pas aux calendes
grecques : à deux mains.
La nuit portant conseil…je me suis laissé embarquer par une petite musique
lancinante ;
« Je m’en irai dormir dans un paradis blanc ….. »

 

Ecriture

Mot après mot,
Phrase après phrase,
Chapitre après chapitre,
Le roman est en écriture;
Mettant entre parenthèses des instants délicieux
Où l’esprit vagabonde dans l’histoire et triture une intrique.
Valère s’en amuse autant que je n’abuse
De l’évaporation éthérée des pensées.

Première plongée

Le réveil sonne à cinq heures ce matin-là mais le sommeil a été trop léger pour en avoir
besoin. Corinne, ma jeune épouse, vient prendre le petit déjeuner avec moi avant que je
n’aille prendre l’autobus de l’arsenal qui me conduira à la porte Jean-Bart, à Brest.
Je ne souhaite pas être accompagné et elle le sait bien, je pars toujours sans tourner la tête ;
peut-être une manière pour moi de ne pas dévoiler mes sentiments, de ne pas montrer ne
serait-ce que quelques seconde de faiblesse. Mais j’ai toujours été heureux de naviguer et
elle le sait. Si je suis novice comme sous-marinier, j’ai déjà navigué sur à peu près sur tous les
océans et mers du monde, toujours prêt à sillonner les océans, quelles qu’en soient les
conséquences que Corinne connait depuis ses 17 ans lorsque je l’ai rencontrée.
Le jour où elle a consenti à m’épouser, elle savait qu’elle devait également accepter cette
maitresse exigeante qu’est la mer. Avec les camarades des différents équipages, j’ai bravé de
fabuleuses tempêtes et cyclones et je sais que l’océan ne se dompte jamais ; qu’il faut
beaucoup d’humilité pour braver sa force parfois incroyable. Mettez du sel dans votre vie !
Pour le coup, il s’est souvent agit de gros sel, le gros le gris que l’on récolte en bord de mer
né du vent et du soleil.
A la porte, avant de partir une nouvelle fois, elle m’embrasse tendrement et me dit pour me
réconforter : « tu ne pars que pour 70 jours, on en a vécu d’autres ! »
Le bus me dépose à 6h50 à la porte Jean-Bart et j’embarque immédiatement sur le
Transrade de 7h15, le gros sac vert de sous-marinier sur l’épaule. Comme dernier embarqué
contrôleur, je vais être de service puis, comme les membres de l’équipage, consigné le
lendemain en préparation de l’appareillage.
L’île Longue se dévoile dans la brume du matin, nous accostons et débarquons rapidement
pour migrer en bus vers les entrailles du ventre terrestre de la dissuasion. Nous marchons
tous silencieux à travers le souterrain menant aux bassins et au quai où est amarré le
puissant numéro 2 de la série ; Le Terrible.
Je franchis la coupée en saluant comme il se doit l’arrière du bateau noir où flotte fièrement
le pavillon national, puis je descends rapidement l’échelle verticale du panneau de la tranche
D et me dirige vers la chambrée où je vais me changer et revêtir ma tenue de « travail » ;
j’aurai suffisamment de temps en soirée pour ranger mes affaires les plus importantes dans
le petit caisson métallique qui m’est attribué. Je passe devant une forêt d’énormes tubes
entrelacés de tuyauteries et de câbles en tous genres, tubes dans lesquels sont glissés de
terribles engins de dissuasion dont la France s’est dotée pour assurer la paix. Je suis assez
fier d’avoir fait le choix d’une formation de 18 mois difficiles pour veiller, à terre comme à la
mer, sur ces missiles de plus de 40 tonnes.

La patrouille pointe son nez mais je ne sais pas encore comment je vais vivre cette longue
mission au fond des océans. « 70 jours c’est rien » qu’elle m’a dit. Mais moi, pour une fois,
je ne sais pas !
La journée de service se déroule de manière nominale. Il faut déjà prendre de nouvelles
habitudes de vie. Le lendemain, l’ensemble de l’équipage monte à bord ; mais non, j’avais
oublié, ils descendent tous à bord par ce sas reliant encore pour quelques heures la bateau
noir à la vie extérieure. La journée de consigne est mise à profit pour vérifier une dernière
fois tous les équipements du bord. La moyenne d’âge est de 26 ans mais les jeunes marins
que nous sommes ont tous reçu une formation très poussée et maitrisent chacun leur
métier, seule garantie de sécurité après celle des automates d’une des machines les plus
complexes construite par l’homme. Chacun sait que la défaillance d’un seul des marins peut
entraîner la perte de tous. L’esprit d’équipage n’est pas une légende!
Les premiers repas sont pris à bord car il faut également entrainer l’équipe qui ravira nos
papilles durant la plongée. Et Dieu sait qu’elle est importante, cette équipe sous les ordres
du Pontus, maître des lieux, grand ordonnateur de notre sérénité.
Au petit matin, pousseurs et remorqueurs sont à l’affaire contre la coque du mastodonte. Je
ne suis pas remonté à l’air libre et traine mes guêtres dans la tranche missiles, attendant le
moment tant attendu.
Enfin autonome mais escorté, la bateau noir fend l’eau de la rade vers le goulet après avoir
embarqué celle qui est toujours la dernière, une antenne. Les oreilles d’or nous ont
également rejoints au tout dernier moment, ceux qui murmurent à l’oreille de Poséidon. Le
sas de la tranche D a été fermé. Seul le kiosque permet encore d’accéder au bateau noir.
Après un temps qui m’a semblé assez court, comme compressé par l’épaisseur du métal qui
nous entoure, les manœuvres de plongée débutent par l’alerte, lancée par un avertisseur
strident ! Les différents paliers de plongée sont émaillés de rondes d’étanchéité visant à
vérifier tous les apparaux de coque. Tout va bien et nous descendons doucement jusqu’à
l’Immersion Maximale Permise, que je surveille avec attention du répétiteur de la tranche E,
près du PC missiles. Je pensais avoir de l’appréhension, mais non, toutes ces manœuvres me
rassurent et m’assure la maîtrise de l’équipage de 126 hommes.
3P9 Terrible, équipage rouge peut commencer. Ne reste plus qu’à nous diluer dans l’Océan
pour commencer cette patrouille inoubliable. Première plongée réussie. Il y en aura 9 autres
quasiment d’affilée puis il sera temps de jeter la pièce dans le goulet de Brest pour d’autres
aventures, industrielles celles-ci. Merci à tous les copains qui m’ont accompagné durant
presque deux ans et demi passés sous les océans. Grâce à eux, ça n’a été que du bonheur.
Comme aurait pu le dire Corinne : « 700 jours, c’est rien ! »
Sans elles, on ne peut rien…..