À l’aube du XXème siècle, les membres d’une opulente famille havraise sont confrontés aux répercussions tragiques de leurs secrets les plus intimes tandis que, autour d’eux, montent les ombres menaçantes de la guerre dans laquelle leur monde est sur le point de sombrer.

Sillages est une vaste saga familiale, sombre et foisonnante, où s’entremêlent amours et haines, joies et deuils, petite et grande histoire. Des destins hors du commun, une galerie de portraits de femmes indomptables qui, quoique bafouées et meurtries, sont résolues à revendiquer leur place dans une société faite par et pour les hommes – même au prix de leur vie. Librement inspiré de personnages réels, Sillages s’interroge sur la capacité que chacun possède – ou non – de choisir son chemin de vie. Une lecture qui s’impose à celles et ceux qui se demandent : « Et Dieu dans tout ça ?. « 

Extrait

René s’approcha de la corniche déchiquetée de la falaise et songea que ce serait si facile de faire l’enjambée de trop, de sentir le sol se dérober sous ses pieds et de s’envoler dans le ciel, pareil à un de ces grands oiseaux de mer qui, une fois pris leur essor, ne touchent plus jamais terre de leur vie et se laissent porter par les invisibles courants d’air chaud qui parcourent l’atmosphère. Si facile d’abandonner définitivement ce monde de feu, de fous et de femmes infidèles.
– Qui a mis cette mer ici ? s’interrogea-t-il soudain, conscient de l’absurdité de sa pensée aussitôt que son esprit l’eût formulée. D’ailleurs, aujourd’hui, toutes ses pensées lui paraissaient déplacées, décalées, à la manière d’un cliché mal cadré sur lequel les personnages se tiennent de guingois devant l’objectif du photographe, prêts à glisser hors champ, comme si le seul fait de se trouver sur cette photo les dérangeait au point d’essayer de s’en échapper.

René étendit son regard aussi loin qu’il le pût d’en l’espoir d’entrevoir les côtes d’Angleterre par-delà le brouillard, se disant que s’il parvenait à discerner les falaises de Douvres, peut-être y verrait-il un homme qui lui ressemble, perché comme lui au sommet d’un éperon rocheux giflé par les vents, ses yeux vides rivés sur cette mer interminable qui reflète sa souffrance comme un miroir de cuivre poli, une autre âme en peine qui ressasse la monstruosité de ses blessures en se demandant qui diable a bien pu avoir le sadisme de les lui infliger alors que, tout ce qu’il voulait, c’était vivre en paix auprès de celle qui désormais ne sera jamais sienne.
Il fit un pas en avant et l’extrémité de sa chaussure droite mordit le vide.