Lorsque j’ai écrit ce livre en 2012 la guerre d’Afghanistan battait encore son plein. L’Afghanistan a été une guerre très longue, et à la fois très lointaine. Cette guerre a été le lieu d’expériences inédites de combattantes sur le champ de bataille, comme les Female Engagement Team du corps des Marines américain, qui sont à l’honneur dans mon récit. Là-bas elles ont combattu loin de leurs familles et de leurs amies, mais elles ont aussi ramené beaucoup de souvenirs, souvent mauvais, parfois bons, avec lesquels il faut apprendre à vivre. Mon personnage le Sergent Frances Mizzoni, a emmené beaucoup d’elle-même dans les villages afghans, et elle a ramené beaucoup, beaucoup trop peut-être. La guerre a mis à l’épreuve son corps, son âme, ses valeurs mais aussi ses amitiés et son amour. Frances n’a pas de relations simples dans sa vie, mais c’est sur elles pourtant, qu’elle doit compter pour se sauver….

Extrait

Pourquoi veux-tu devenir Marine, Francesca ?
Bien entendu, elle s’était attendue à cette question. Frances avait tenté de préparer des réponses à même d’emporter l’adhésion paternelle à son projet. Bien entendu aussi, comme souvent dans les moments cruciaux, les réponses apprises par cœur les jours précédents s’évanouirent instantanément.
Frances avait pris une profonde inspiration avant de se lancer dans ce qui lui sembla être, à l’époque, le plus dur combat qu’elle aurait à mener de toute sa vie.
— Depuis la mort de maman je m’interroge sur ce que je vais devenir, commença-t-elle. Tu n’es pas vraiment là pour me conseiller, sur cela ou n’importe quoi d’autre. Ne le prends pas comme un reproche, ce n’en est pas un je te le jure. Je sais et j’admire, ce qui te tient éloigné de moi.
Elle s’en était voulu de cette deuxième phrase dans sa plaidoirie, qu’elle considéra sur le coup comme une erreur fatale. Le Sergent, lui, n’avait pas cillé.
— C’est juste que, si je me demande ce qui me rend le plus fière aujourd’hui dans mon entourage, c’est ce que tu fais chaque jour pour le pays qui me revient toujours en réponse. Je ne dis pas cela par flatterie, c’est la vérité. Je suppose qu’il y a des tas d’autres métiers valables, et que l’on peut se sentir fière d’exercer mais… moi… c’est le Corps. Ce qu’il m’inspire. Le respect, le dépassement de soi, l’abnégation et la solidarité. J’aime l’uniforme, ce qu’il représente de beau et de grand, j’aime…
— Être Marine, c’est d’abord faire la guerre.
Il avait lâché cela comme un coup de poing au milieu de sa phrase. Elle en avait eu le souffle coupé. Évidemment, être Marine, c’était faire la guerre avant tout. À cela aussi elle avait songé mainte et mainte fois. Elle essaya de le lui dire mais il la coupa de nouveau.
— Être Marine c’est porter une arme pour s’en servir contre des êtres de chair et de sang que l’on va tuer. Parce qu’ils sont nos ennemis. Mais ils sont aussi des fils, des pères, des frères. Être Marine c’est voir des copains, des types avec qui on affronte des merdiers pas possibles, perdre un membre en sautant sur une mine antipersonnel ou cramer dans un véhicule touché par une roquette.