Si proche et si lointaine à la fois, l’Espagne reste méconnue des Français. Le roman Musique, Maestrat ! est l’assurance d’un moment d’évasion littéraire en direction d’une contrée ensoleillée et montagneuse, dont le nom même est une énigme pour la multitude : le Maestrazgo.

Évasion géographique, mais aussi temporelle, puisque le parcours de kilomètres peut procurer l’impression de remonter le temps… Les Pyrénées ne forment qu’une frontière naturelle bien chiche. Est-il possible de se retrouver soi-même sur leur autre versant ? Quels mystères peut donc y cacher un hameau perché, inconnu de toute civilisation ?…

Extrait de  Musique, Maestrat !  de Philippe de Lacvivier

« On ne démasquait chez lui d’autre coquetterie que la propreté de son vêtement, lorsqu’il ne travaillait pas au grand air du moins, et les boucles de ses moustaches. Elles avaient tendance à roussir au soleil, quand sa peau, elle, brunissait comme naturellement, après tant de générations passées dans le même four pour fixer une argile indéracinable. […]

Le second patronyme du lignage, “de la Domínica”, lui venait, d’après la légende, de l’édifiante piété de plusieurs aïeux, mais aussi de ce qu’ils ne cessaient de guerroyer contre le More que le dimanche. La mémoire locale prétendait qu’en 1212, un Domínguez avait recommandé au roi Alphonse VIII de Castille, à Las Navas de Tolosa, de ne pas lancer l’assaut proprement dit contre les Sarrasins le jour saint. Cette prudence chrétienne n’aurait pas été sans incidence sur la victoire du lendemain, lundi 16 juillet, où le même Domínguez se trouva parmi les premiers à charger. On l’aurait d’abord affublé du surnom “de la Lunada” en raison de son héroïsme du lundi, mais ne se trouvant ni trop cochon, ni trop mal luné, il obtint plutôt de se faire appeler “de la Domínica” en souvenir de la sage recommandation de la veille.

La maison seigneuriale que notre don Domingo occupait à Luco de Morgón, et que les Domínguez habitaient depuis trois siècles au moins, pour sommaire qu’elle fût, comptait parmi les plus volumineuses de cette partie du Maestrazgo. Peu s’en fallait que ce fût une bâtisse sans toit, à laquelle n’auraient manqué que les murs… Bancale en apparence, toute de travers, elle n’avait pourtant guère bougé une seule fois dans son existence pluriséculaire ; son entretien était parfait. Elle se répartissait en trois niveaux. D’un point de vue architectural, elle était tout à fait dans l’esprit des nobliaux espagnols de province, mettant l’accent sur l’utilité et la prodigalité familiale, plutôt que sur l’ornementation et le tape-à-l’œil : le luxe lui était étranger, au moins autant que la ligne droite. Sans doute avait-elle figuré dans quelque dictionnaire illustré, en face de l’entrée “biscornu, biscornue”. Cette gentilhommière n’était pas faite pour être admirée, mais pour être habitée, – élément fonctionnel perdu de vue en maints endroits. »