Tenter l’aventure Houellebecq avec la « Carte et le Territoire » tel est l’objet de cette étude.
Si l’analyse dans ce roman use moins du trash et de la provocation que dans les Particules Élémentaires ou Plateforme, c’est parce que le questionnement se recentre sur la création et la place de l’artiste dans la société.
S’agit-il d’un roman de l’artiste ou d’un roman de l’art, d’un roman de la création ou de la destruction, la création artistique n’est-elle pas le seul moyen de rendre compte du monde, telles sont les problématiques abordées dans cette étude.

À la fois roman de l’artiste, roman de l’art et polar noir, réflexion poignante sur la création et l’isolement de l’artiste, la Carte et le Territoire analyse sans concession le monde comme il va et constitue une expérience de lecture(s) Houellebecquienne qui incite le lecteur à changer son regard sur le monde.

Au centre géographique du roman, les trois rencontres entre Houellebecq et Jed Martin constituent les moments clés de la construction romanesque et sont l’occasion de donner sens à l’œuvre : le roman, le travail de Jed, celui de Houellebecq et enfin de la création artistique tout entière sont passés au crible durant ces entretiens, dans lesquels la fiction déploie sa dimension réflexive teintée d’humour.
Ce qui isole les deux personnages des autres, personnages de papier ou personnages réels, c’est la création et la « passion ». Ce terme d’ailleurs, est non seulement l’élément qui fonde l’essence des malentendus entre Jed et Olga, mais il fournit aussi la raison pour laquelle Koons ne saurait être représenté comme « artiste » contrairement à Houellebecq – le monde se déroule en dehors, et la trajectoire du peintre rejoint celle de l’écrivain qui « n’éprouve qu’un faible sentiment de solidarité à l’égard de l’espèce humaine ». Les registres et les thématiques à l’œuvre dans ces trois rencontres procèdent d’un effet de juxtaposition qui trouble la cohérence narrative, et dilate le temps, offrant au lecteur plusieurs scènes longuement dialoguées dans un roman où les dialogues et les rapports humains sont peu présents. Ce procédé du collage semble révélateur de la profonde vérité des rapports du monde et de l’artiste, constamment soulignée par l’incessante oscillation entre propos sérieux et mise à distance ironique qui accompagne l’entrée en scène du personnage Houellebecq. Ce dernier trompé les attentes du lecteur des « Particules Élémentaires » ou de « La Poursuite du bonheur » comme il se nomme avec une insistance ironique, relayant ainsi les clichés médiatiques. Le portrait grotesque du romancier, autoportrait à charge : il ressemble à un « bagnard de feuilleton télévisé » , à « une vieille tortue malade » qui « pue un peu » et « à complètement replongé au niveau charcuterie », pour un temps décentre l’attention du lecteur mais a aussi valeur de prolepse, faisant office de variation sur le motif de l’inquiétante étrangeté de l’artiste sur la scène de crime.