Luce la bien nommée est l’histoire d’une enfant singulière qui perçoit ce que d’autres ne ressentent pas. De par sa sensibilité, elle se sent étrangère aux aspirations de son entourage. Les normes, injonctions et conventions sociales réveillent chez elle une foule de questions sans réponse. Dans la solitude et le silence, elle tisse un pont de lumière entre deux mondes : celui qu’on lui impose et l’autre, plus subtil, plus secret auquel elle a accès au quotidien.
Ce livre est dédié à tous ceux qui voient « derrière les voiles », débusquent malgré eux les vérités que protègent les non-dits, à ceux qui se sentent différents, petits poissons qui parce qu’ils étaient plus fins, plus sveltes, plus vifs, moins conformes que les autres ont réussi à s’échapper de la nasse normative.
Si vous accordez plus de valeur à la voix de votre âme qu’au vacarme du monde, si le confort des sentiers balisés et des routes toutes tracées vous ennuient ou vous laissent de marbre, vous trouverez dans les mots de Luce un écho de votre rapport au monde.!

Extrait

Je suis Luce la nouvelle-née. Je viens de la vastitude, de l’éternité, de l’absolu. Je viens de la terre, des ruisseaux, des forêts, des océans et des étoiles sur lesquels le vent a soufflé. Je suis Luce, luz, lumière vivante entrée dans le monde. J’ai une semaine. Je ne parle ni ne pense. J’ignore tout du langage.
Pour l’heure, les mots et les voix ne sont pour moi qu’un vague fond sonore, un bruitage ambiant indissociable du grand océan de sensations dans lequel j’ai débarqué. Dans cette chambre d’hôpital où je suis blottie contre ma mère, je diffuse imperceptiblement un peu de l’infinie connaissance ramenée du fond des âges.
Je suis Luce, l’enfant-ancêtre. Mon corps de quelques kilos est composé de millions de cellules porteuses d’émotions, de mémoires, de souffrances, de rancœurs, d’espoirs et de désirs transmis par ceux et celles qui m’ont précédée. Je suis la nouvelle-née qui ne sait pas ce qu’elle est, encore moins qui elle est. Je suis l’enfant-désirée, l’enfant-pansement, l’enfant-promesse, celle vers qui tous les yeux se tournent. Des yeux cernés et fatigués de s’affronter ou de se fuir, des yeux qui rêvent de grands horizons, des yeux embués de larmes qui fixent les culs-de-sac du passé en espérant follement qu’ils déboucheront un jour sur l’infini.

Tous ces regards posés sur moi ne me voient pas et me transforment pourtant en promesse d’éternité. Mon corps accueille toutes les informations subtiles et inconscientes des êtres qui m’entourent, mon cerveau les stocke dans sa matière grise. Je suis l’enfant-innocente à la gorge nouée autour de secrets familiaux, je suis l’enfant-ignorante qui connaît ce qui l’habite et ne le sait pas encore. J’arrive à la croisée des temps. Je suis le possible point de convergence de la paix, de l’amour, je suis la gardienne des histoires passées et à venir. Pour l’instant, je n’ai accès qu’à des fonctions utiles à ma survie, à ma croissance et à mon développement. Tout le reste n’est que potentiel, une mine d’or invisible ensevelie sous des strates de boue. Je ne connais encore aucun de ces mots : frisson, joie, étoile, vérité, violence, destin, liberté. Tendresse.