« LIBRE est le récit d’une partie de ma vie qui évoque comment Ana, l’incarnation suprême de l’anorexie s’est emparée de mon esprit.
Adolescente précoce, troublée par mes différences, Ana s’est révélée être ma seule issue. Petit à petit, Ana m’a grignotée, torturée et a fini par me dévorer. Je confie notre relation ambivalente, passionnelle et sanglante. Mon corps meurtri était guidé par la voix de celle que je pensais être mon amie. Entre démences et sacrifices, j’étais prête à tout lui donner, au point de me tuer. Alitée, j’ai commencé à chercher à travers mes maux, les mots qu’Ana m’avait interdit de prononcer. Je me suis extraite de ses ténèbres en m’accrochant aux douceurs issues d’une vie pure et simple. Pour briser notre lien forcené, j’ai puisé la force dans mon âme encore saine et sauve. Il a fallu revivre les événements dans lesquels Ana avait trouvé ses racines, comprendre son emprise, se nourrir ailleurs que dans ses fausses croyances et retrouver le goût de l’insouciance.
Mon témoignage se veut être un fil conducteur vers la sortie, vers la liberté, vers la vie. En confiant mon histoire, je souhaite toucher les patients, les soignants et leurs proches en leur apportant une autre vision de l’anorexie. »

Extrait

« Ma cage est noire. Un noir si épais qu’il gobe tout sur son passage. Un filament de lumière ne percerait pas le moindre recoin de mon chaos. Le noir m’assomme, il est devenu le plus grand des méchants, aussi puissant que le sang. Dans cette minuscule cellule, il me suffit de tendre les bras pour toucher simultanément les quatre parois. Chaque jour, elles semblent se rapprocher, laissant la pièce se resserrait. Je suis dans mon propre cercueil, je ne peux ni m’asseoir, ni me redresser. À défaut de pouvoir tenir debout, je baisse la tête, courbe mon dos, et fléchis un peu les genoux. Mon corps entier est engourdi, à force, je suis envahie de fourmis qui ne ratent pas une miette de ma surface. Elles évoluent par milliers dans l’espace.
Bientôt, les fourmis finiront par me dévorer. Quant à l’air, il est dépourvu d’oxygène, de sorte que je porte mes mains sur mon visage pour inspirer et expirer silencieusement. Je me débrouille comme je peux mais surtout comme j’en suis autorisée.
Et parfois, la porte s’ouvre et je l’aperçois. Divinement belle, je suis fière d’elle. Elle rayonne.
Elle est mon soleil. Elancée, elle vole. Elle a gagné tout ce qu’elle désirait. Elle a gagné tout ce que je lui ai donné. Je veux être comme elle, sans la dépasser. Je chéris les instants où je peux la manger du regard autant que je le souhaite, tandis qu’elle me liste ses nouveaux ordres. Il y en a toujours un qui est encore plus horrifiant que le précédent. Aujourd’hui, Ana est ma seule image, enfermée dans cette boîte, la lumière ne provient que de son passage.
L’unique vibration que je perçois est issue de sa voix, le reste n’est qu’un brouhaha. Une fois partie, je m’accroche à cette scène : la reine devant moi, couronne dans les mains, bras presque tendus. Bientôt elle me la déposera, ce n’est plus qu’une question de centimètres de taille. Je résiste, les yeux clos, pour ne pas que le noir de la cage emporte les détails de sa silhouette, mes mains empilées sur les oreilles pour ne pas perdre un seul grain de sa voix. Je serre tout ce que je peux serrer, plus rien ne peut passer. Et à force de gainer, je fonds, ma matière se dissout sous la pression qu’exerce l’effort de mon corps à conserver son image. Mais, plus je me compacte, plus je me sens à l’aise. L’espace que je gagne me permet de me relever dans ma propre cage. »