Des personnages à la recherche de leur propre histoire, un univers onirique, sombre et riche en symboles. Peut-on voir au-delà de ce que nos yeux perçoivent ? En contrepoint du réel, dans le miroir de la psyché végètent des monstres fantastiques. Sont-ils des éclaireurs, portent-ils en eux la faculté de changer l’avenir ? Annah et Sacha feront l’expérience du réel qui se fissure, de l’identité qui se redéfinit, dont le grain s’épaissit et fait éclore de nouvelles perspectives. Une première histoire post-apocalyptique, un monde perdu qui devient un personnage à part entière, le sentiment du manque qui se fait cruellement sentir et qui interroge Annah sur la notion de son appartenance au monde. Une seconde histoire plus contemporaine, Sacha à la recherche de son amie Molly pour retrouver la clé de son passé.

Saura-t-elle y faire face, absolution, dissolution ? Qu’ils soient réels ou imaginaires, qu’importe, les monstres portent en eux profondeur et violence. Attributs nécessaires, qui dotent les deux personnages d’un farouche désir de vivre.

Extrait

LA PANTHÈRE

C’est arrivé hier au soir, le concert se déroulait comme à l’accoutumée, fluide, linéaire, puis tout à coup elle a surgi. Une apparition, sortie directement des contes du passé, impossible de croire que c’est réellement arrivé, et pourtant elle était là. Une sensation glaciale a entièrement envahi la salle, pas uniquement de la peur, elle était là évidemment la peur, mais au fond, c’était tellement plus que ça, de l’étonnement, de la stupéfaction, une apparition impossible, majestueuse, une démarche féline, une robe de velours noir sur laquelle les spots de la salle projetaient des faisceaux de lumière magnifiant sa musculature sauvage. Cela fait si longtemps que toute faune et toute flore ont disparu sur Terre. Une éternité, à l’échelle de la vie d’Annah, que l’humanité vit recluse dans l’univers artificiel qu’elle a créé, affranchie en apparence du monde qui la nourrit et l’a bercé. En apparence seulement, il faut croire, sinon comment expliquer le chambardement intérieur qui s’est produit en chacun sans exception ? Elle en est persuadée, l’empreinte de ce souvenir ne s’effacera pas, ni dans plusieurs jours, semaines, mois ou années. Non, ce qui s’est produit, c’est une révolution intérieure, les perspectives ont changé, une porte a sauté, forcée à la dynamite.

Tout cela n’a duré que très peu de temps, le temps qu’elle traverse la scène, nonchalante, souveraine, que chaque regard s’abreuve de la grâce de son apparition, que personne ne puisse démentir l’impossible. Puis le silence aussitôt installé, aussitôt brisé par son rugissement, long, impérieux, qui affirme sa présence, sa puissance, convoque un écho lointain en chacun. Une appartenance venue du plus profond des tripes, qui fait que le monde tremble, vacille, et au fond c’est une grâce, rien ne pouvait arriver de mieux, de plus bénéfique, de plus régénérateur que de croire éperdument que tout est a réinventé. Elle a rugi à pleine gueule, un gouffre s’est ouvert dans lequel deux crocs immenses sont apparus, deux crocs comme deux sabres de nacre, acérés, sacrés qui se sont plantés et ont déchiré le rideau de la réalité. Et le monde à nouveau neuf, brûlant, déifié.