Les huit nouvelles de ce recueil sont très librement inspirées de croyances, mythes et légendes : les enfants de Neptune, les inquiétantes Lumerettes errant dans les cimetières, la fée Mélusine, Sekhmet la puissante déesse égyptienne, les légendaires salamandres. Les nouveaux nains magiques et la pauvre vieille et ses morts ont pour origine ma relecture de deux contes des frères Grimm.

Le thème de l’eau relie toutes ces nouvelles. Cet élément est à l’origine de drames,
D’intrigues, d’enquêtes, qui confrontent les personnages à des univers venus du fond des âges. Leur perception du réel, leur rapport au monde et aux autres s’en trouvent bouleversés.
Ainsi, l’eau claire du bain de la femme alanguie, le torrent tumultueux charriant des cercueils, les miasmes verdâtres du lac où s’abîma le diable, la cuve dans laquelle nagent d’indolentes salamandres… font naître l’effroi et même, parfois, le rire.

Extrait

La visite mensuelle du médecin venu l’examiner et renouveler son ordonnance faisait partie de ses rendez-vous incontournables du jour. Il lui trouva bonne mine et lui proposa de diminuer sa dose de tranquillisants et de somnifères. La série de sombres tragédies qui avaient frappé sa famille était loin maintenant. Il lui assura qu’elle commençait à sortir la tête de l’eau. Ce diagnostic lui donna de l’assurance pour le reste de la journée.
Après avoir raccompagné son docteur jusque sur le perron, elle pria la cuisinière de préparer désormais un repas froid chaque soir avant de finir son service. Elle le consommerait plus tard, après son bain, qu’elle ferait couler elle-même à partir de maintenant, précisa-t-elle à la femme de chambre qui fronça les sourcils mais ne fit aucun commentaire. Enfin, elle dicta de nouveaux horaires à ses gens de maison. L’essentiel pour elle était qu’ils quittent sa demeure plus tôt chaque soir.

Tout ce petit monde parti, elle commença à suivre les mouvements de la lumière portée par les derniers rayons du soleil sur le tapis du salon Voltaire. Excitée et un peu nerveuse, comme quand elle se rendait à un rendez-vous galant, elle gravit les marches qui la conduisaient à sa salle de bain, devenue salle d’expérience.
Elle se dénuda prestement et faillit chantonner en enjambant la baignoire pour se plonger dans l’eau dont elle ajusta la température. Elle se força à faire quelques inspirations profondes. Son cœur battait trop vite. Le ciel s’assombrissait maintenant que le soleil s’était abîmé derrière les arbres du parc. Elle se tint parfaitement immobile. Seule sa poitrine se soulevait lentement, au rythme d’une respiration à nouveau sous contrôle.
Elle aurait juré avoir entrevu une ombre plus sombre que la pièce, sortant du mur pour s’évanouir dans son bain. L’eau devint brusquement glaciale. Elle en sortit si promptement qu’elle se fit atrocement mal à une cheville. Elle hurla de douleur. Un rire d’enfant espiègle lui répondit. Elle n’eut d’autre solution que de s’asseoir sur le rebord de la baignoire en grimaçant et en frottant sa cheville douloureuse. Après quelques instants, elle osa toucher l’eau du bout des doigts. Elle était à nouveau tiède.