Le livre illustre la confrontation d’une communauté familiale aux dangers de la désintégration et de la chute.
On distingue deux forces à l’œuvre : une force de construction d’abord, qui illustre la recherche effrénée d’une issue destinée à conjurer un risque (le jeune couple par exemple qui part en Afrique du Nord pour s’extraire des griffes de la belle-mère souveraine et dominatrice) ; à cet égard ce processus est mis en perspective avec l’aventure de la colonisation qui constitue pour le pays colon le moyen de faire diversion à des troubles intérieurs en fournissant un grand dessein quasi messianique (à forte teneur économique cependant).
Mais on assiste (en poursuivant le parallèle avec le plan familial) à la renaissance de ces troubles intérieurs qui apparaissent au sein même de la fratrie qu’on avait apparemment voulu mettre à l’abri comme le pays colonisé à qui on était censé apporter les progrès techniques, les droits de l’Homme et la connaissance et qui néanmoins s’insurge.
La culture du creuset familial (et l’émancipation éventuelle qui s’ensuit) étant le lot commun de la plupart des êtres humains de ce siècle et du précédent, cette histoire ne pourra que capter l’attention et l’intérêt d’un important lectorat.

Dans sa courte vie, Régine n’avait jamais vraiment eu droit à la parole. La lui donner n’était toutefois pas sans danger. Ouvrir les vannes de cette correspondance, c’était donner libre cours à un torrent impétueux hors contrôle et hors censure. Les idées, les émotions se bousculaient dans sa tête ; Régine avait plein de choses à dire, et dans un certain désordre.
Jusque-là aucune tribune ne lui avait jamais été donnée. Elle n’avait intégré aucun réseau, ni connu aucune réussite qui lui aurait permis de porter une parole ; n’importe laquelle. Tué dans l’œuf, son propos avait été cassé, castré, invalidé avant d’avoir connu la moindre ébauche de formulation. Il s’agissait donc d’une opportunité à saisir, celle d’ouvrir non pas la boîte de Pandore, comme le craignait Inouë, mais bien plutôt le trésor caché d’une vie bâillonnée… Et finalement qu’avait-elle à dire, Régine, de si important, qui aurait pu flétrir le modèle de la bourgeoisie provinciale triomphante dont elle était issue ?
Bien que née dans une famille compassée, voire coincée, où les effusions et les manifestations de tendresse, notamment tactiles, étaient quasiment proscrites, Régine mettait l’amour au centre de tout. Les Galles étaient toujours plutôt empruntés lorsqu’ils s’embrassaient, et même s’ils devaient le faire souvent ; car la tradition familiale voulait qu’on échangeât une bise au moins deux fois par jour, le matin et le soir, bonjour et bonne nuit. Finalement, ce rite ressemblait à une formalité, car tout plaisir en était absent. Y en eût-il eu, d’ailleurs, que cela aurait paru suspect aux protagonistes eux-mêmes et aux témoins familiaux éventuels. C’étaient donc des baisers du bout des lèvres, sans aucune sensualité.
Régine aurait voulu qu’on s’enlaçat chaque fois, qu’on s’embrassât avec fougue et jubilation, « comme du bon pain », façon de se redire chaque fois l’amour que l’on se porte. Elle avait la certitude que, en l’absence de cette empoignade biquotidienne empreinte d’enthousiasme et d’explosion de joie, l’amour qu’on se donne et celui qu’on reçoit finiraient par se tarir immanquablement. Or Régine mettait l’amour au centre de tout. Par quel sortilège était-elle porteuse de cette puissante conviction ?