En cent cinquante et une anecdotes tour à tour hilarantes, instructives, insolites, parfois émouvantes, François Bréant retrace son parcours de musicien en quête d’une vie « pas normale ». En studio, en scène et en tournée, en France et ailleurs, il raconte ses tribulations dans ses groupes de rock et ses rencontres avec des personnages extravagants, célèbres ou anonymes, géniaux ou pas.
Sarcastique mais jamais amer, Bréant, Sourire en coin, nous fait visiter les arrière-cuisines son métier bienaimé.

Des dizaines de photos inédites illustrent le texte. Le lecteur, par un simple scan avec son téléphone sur des QR codes est renvoyé vers des documents musicaux en ligne en rapport avec les anecdotes.

Extrait

20h, c’est l’hiver. Il neige un peu, Lavilliers conduit. Le vieux Ford transit est mal chauffé, nous comptons nos sous et décidons de nous arrêter dans un restaurant de routiers au bord de la nationale, perdu au milieu de l’Indre. Sur le parking, plusieurs dizaines de poids lourds, quelques choppers et autres gros cubes.

Nous attendons qu’une table se libère au bar qui domine la salle à manger. Dans cette grande salle trop éclairée, Guy Lux, dans une télé poussive, tente en vain d’imposer des chansons putassières à des convives rendus indifférents par la fatigue du jour. Brouhaha, bruits de couverts, odeurs de sueur, d’andouillette, de poireaux, de Gitanes sans filtres. Pour certains la journée s’achève, pour d’autres, qui vont pousser jusqu’en Allemagne ou l’Espagne, la nuit commence.

« Faut admettre que c’est plutôt un restaurant d’hommes », aurait dit Lino Ventura. C’est dans cette ambiance plutôt virile, peu sensible à la cause LGBT, que Michel Martig, notre manager, probablement mu par une vive pulsion de mort (l’inconscient se manifeste aussi chez les managers) clame à la cantonade cette bien peu opportune saillie :

– « Salut les hommes, tant pis si j’me trompe ! »

Les trente tables font soudain silence, on n’entend plus que la télé. Une centaine de têtes s’essuient la bouche et se tournent lentement vers le bar. 100 fois 90 kg de chair et d’os se lèvent et se dirigent vers nous… C’est cet instant particulier où on se sent comme si on s’était habillés en rouge dans un élevage de taureaux de combat. Je me dis :

– « C’est donc mon heure, je vais mourir ce soir, dans l’Indre, pourra-t-on identifier mon corps ? Pas sûr… ».

Nous sommes pétrifiés de trouille mais Lavilliers nous dégèle, jette un billet sur le bar, prend Martig par le col et nous crie :

– « On se casse ! Vite ! Au Ford !».

Nous avons dû battre le record du 100 m ce soir-là (en athlétisme la motivation, ça fait tout).
Le souffle court, on s’entasse en panique dans le véhicule. Bernard met le contact fébrilement.
Hélas les moteurs diesel, à l’époque, nécessitent un temps de préchauffage.

Démarreur : il tousse…

Nous, à l’arrière, tous en chœur:

« Merde ! Merde ! Démarre, putain ! »

Pendant ce temps le troupeau de bisons en fureur nous a presque rejoints… (à suivre)