Je ne sais plus
de Sylvia Hemery
Tiré de faits réels
Louise est Comorienne et a vécu l’esclavage du travail dès l’âge de six ans. Je me suis inspirée de son histoire pour écrire Je ne sais plus. Elle est arrivée en France à l’âge de 24 ans et nous sommes une fratrie de onze enfants. Nous ne parlons pas assez de l’esclavage du travail chez les enfants et des rites des sorciers qui se pratiquent dans beaucoup de pays africains. Le but n’est pas de dénigrer ni de juger mais de témoigner.
Louise a dix ans. Très jeune, elle doit travailler dans les plantations de cocotiers à Moroni dans l’archipel des Comores. Elle trime douze heures par jour avec acharnement pour récolter la noix de coco. Née d’un père inconnu, de souche européenne et d’une mère comorienne, elle doit nourrir toute la famille. Elle va subir les pires rituels maléfiques infligés par le sorcier local Albouzou et les sévices de sa mère Halima qui l’accuse d’être possédée par le diable.
Louise est d’une grande intelligence. Elle sait qu’elle est contrainte à se marier à un vieillard surnommé « Nez Crochu ». Mais elle veut résister et y échapper. Comment va-t-elle s’y prendre ? Une course contre la montre va se déclencher… Ce roman est inspiré de faits réels.
Extrait de Je ne sais plus de Sylvia Hemery
Louise a dix ans, elle traîne les pieds sous les braillements de Halima qui lui tire le bras pour se rendre à la plantation de noix de coco. Ses mains sont rêches et moites, sa peau est brûlante par cette chaleur écrasante, son front perle de sueur ; elle ne rechigne pas à ses besognes sous la pression de sa mère. Elle est constamment menacée par une bastonnade, son corps est si frêle. Louise va travailler aux champs de cocotiers comme une petite fille irait à l’école. Elle ne dit mot face aux sarcasmes de sa mère.
— Ne rechigne pas au travail ! J’étais veuve avec trois beaux garçons. Tes grands-parents n’arrivaient pas à subvenir aux besoins de la famille. Tu ne devrais pas faire partie de ma vie, tu es née, mais je ne voulais pas de toi. Mon père m’a louée deux ans à un homme crasseux en échange d’une vache. J’avais déjà ta sœur, elle est tellement belle, les hommes la désirent ! Elle me rapportera beaucoup d’argent. Et puis le diable a frappé, je suis tombée enceinte de toi ! Après l’accouchement, lorsque j’ai vu ton visage, je savais que tu serais source de problèmes. Tu es la bête noire de mon déshonneur, tu es aussi moche que ton géniteur ! D’ailleurs, il vit très loin d’ici, je ne sais même pas dans quel pays. C’était un colon de passage, de souche européenne. Ce que je sais, c’est qu’à cause de toi, aucun homme n’a voulu me marier ! Tu comprends, « petit boulet » ?
— Oui, Madame.
— Bien, ne m’appelle jamais « maman », tu ne fais partie de MA famille.
— Oui, Madame.
— N’oublie pas que tu dois secouer la noix de coco près de ton oreille. Comment dois-tu savoir si la noix de coco est à pleine maturation ?
— Je dois entendre le bruit de l’eau de coco clapoter à l’intérieur. Plus il y en a, plus le fruit sera frais et sa chair goûteuse. La noix de coco sortira plus facilement de sa coque.
— Tu le sais, chez nous, aux Comores, le « M’nadzi » est une fierté ancestrale !
— Madame, j’ai peur des chauves-souris, elles sont très grandes…
— Oh ma pauvre, ne sois pas sotte ! Les roussettes des Comores sont affreuses comme tu peux l’être, mais elles sont inoffensives. Elles ne mangent que des fruits et ne mesurent qu’un mètre cinquante. Allez, file ! Je retourne préparer le repas pour ce soir. Tu mangeras si tu as bien récolté ou au gré de mon humeur. Tu es bien en chair, cela ne te ferait pas de mal de maigrir. Et n’oublie pas de prier à l’heure du soleil ! Après avoir aidé ta sœur Joséphine, tu iras vendre le sac plein. Titi grimpera agilement pieds nus sur ces troncs réguliers et droits, dénués d’épines. C’est la particularité du M’nadzi. Tu verras. Il secoue les branches et les noix de coco tombent comme des mouches. Il n’est pas trop futé mais c’est un très bon ouvrier.
D’un pas lourd et nonchalant, Halima siffle le chant de l’oiseau : Aigrette à gorge blanche. Louise se retrouve livrée à elle-même devant ces plantes de stipes géantes hautes de trente mètres. Elle s’assoit pour se détendre avant de débuter sa journée de dur labeur ; ça fera de l’argent pour faire vivre sa famille. Elle rêve, elle aimerait devenir coiffeuse ; elle sait assurément qu’elle n’ira jamais à l’école. Son cœur saigne tous les jours, elle pleure le mal d’amour, elle prie l’espoir. Elle est horrifiée de savoir qu’elle devra se marier dans trois ans avec un Monsieur très âgé que l’on surnomme « Nez crochu ». Elle sera vendue comme épouse contre une dote pour nourrir ses cousins, ses cousines et sa mère. Malgré les rituels sorciers, elle se sent « étrangère » à la communauté… Le diable est toujours dans son ventre. Pour être exorcisée, elle devra honorer cet homme selon ses exigences de travail et sexuelles désignées par le sorcier Albouzou. Elle se sent comme une esclave du travail et il lui arrive de mentir pour éviter cinquante coups de bâton, consciente du sort qui l’attend.
Louise est issue d’un milieu très pauvre. Sur l’acte d’état civil, sa naissance est datée « proche du » 18 mars 1946. Cette date approximative est reprise tant sur les registres de Moroni que ceux déposés au greffe du tribunal à Paris. Louise a la qualité de citoyenne française. Rêveuse, elle aimerait s’envoler tel l’oiseau bleu qui plane au-dessus de la plantation. Une ondée apparaît soudainement. Elle se rafraîchit grâce à ces quelques gouttes de pluie qui se déversent sur ses cheveux crépus. Elle s’agenouille, ferme ses yeux charbonneux, et prie Dieu de lui donner la clé de son geôlier.
Louise est assise à côté des palmiers exotiques élancés et souples dans un cadre tellement paradisiaque ! Elle est songeuse devant ces trônes d’un magnifique panache de longues feuilles pennées, vert vif, groupées au sommet formant un large bouquet. À l’aisselle de chaque feuille se trouve une inflorescence qui se développe en un régime chargé de noix de coco. Elle est effrayée par les serpents qui s’y accrochent ; les mâles sont gris, les femelles sont orangées, ils ont une tête plus large que le cou, ils sont inoffensifs mais sont tués par l’homme. Le sorcier Albouzou exige que les habitants respectent ses injonctions. Louise a un rôle bien précis dans les plantations. À l’aide d’un manche tranchant, elle retire la chair de coco par petits morceaux. Ses doigts sont aussi fins et gracieux que ceux d’une danseuse étoile. Elle observe son cousin Mamou couper en deux le coir à l’aide d’une machette pour la coco, des coups secs maniés avec une grande justesse. Elle n’ose pas le déranger, mais sa curiosité l’emporte :
— Mamou ?
— Quoi ?
— As-tu peur des serpents ?
— Non, ils ne représentent pas de danger.
— Moi, j’ai peur ! On les tue, il doit bien y avoir une raison ?
— On doit obéir aux règles du sorcier Albouzou.
— Oui, mais…
— Qu’est-ce qu’il y a, Louise ? On perd du temps, tu me déconcentres, je pourrais me couper la main ! Il y a une cueillette de 500 cocos chaque jour, et nous ne sommes pas nombreux. Il faut en vendre au moins 25 par semaine.
— Je voulais juste discuter un peu…
— Les serpents se trouvent aussi au sol, ils se reposent la journée et chassent la nuit. Ils se nourrissent de petits lézards et d’autres petits animaux. Maintenant, cesse de pleurnicher !
Louise se tait, elle vient de comprendre que le sorcier Albouzou du village dirige chaque vieillard, chaque adulte et chaque enfant.
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Les étapes de la création
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