Mon livre est un témoignage hybride qui se situe entre le témoignage personnel et le récit initiatique.
Il retrace ma renaissance et est le reflet des générations qui ne parlaient pas des violences sexuelles subies durant l’enfance ou l’adolescence.

Il s’adresse à celles et ceux qui sont encore enfermés dans le déni, le silence, l’omerta familiale et aussi à leurs proches. En matière de violences sexuelles, les victimes collatérales sont souvent nombreuses et j’ai la croyance que comprendre aide à se rapprocher, à guérir et à pardonner.
Mais rendre l’invisible du trauma visible reste souvent difficile. C’est comme une bombe qu’on dégoupille. Pourtant c’est souvent au moment où la victime ose la dégoupiller que sa guerre intérieure commence à cesser. Elle sort du silence et n’est plus seule. Ma singularité par rapport à certains ouvrages qui traitent du sujet brûlant des violences sexuelles réside dans le chemin spirituel que j’ai initié en parallèle du chemin thérapeutique. J’ai compris que la souffrance pouvait aussi être un sas vers une autre réalité et qu’au-delà de nos épreuves, il existait un fil rouge, subtil et invisible, auquel nous étions tous reliés.

Extrait

Comme la plupart des prédateurs, il a dû prendre le temps d’étudier et de choisir sa proie, en m’observant. Il connaît mon contexte familial, et en tant que professeur, il a un certain ascendant sur mes parents, issus de la classe ouvrière. Il doit savoir que je ne parlerai pas, ou que, quand bien même je déciderais de parler un jour, personne chez moi ne le dénoncerait, puisqu’il est comme la famille, et que la famille, c’est sacré, n’est-ce pas ?

Comme beaucoup de personnes dans mon cas, mes souvenirs de ces visites sont flous et brouillés.
Cette année-là est un no man’s land pour moi. J’ai des flashs, mais ma mémoire, du fait d’un mécanisme de défense naturel, occulte tous les faits bruts. On parle d’amnésie dissociative traumatique. Ces trous de mémoire peuvent s’étendre de quelques minutes à plusieurs décennies.
C’est souvent ce qui est incompris dans les traumas liés aux violences sexuelles. C’est mon corps – et mes sensations – qui se souviendront de tout au fil des années et des réactivations traumatiques. Ces quelques mois sont donc flous. Je me vois prendre ma bicyclette blanche, une Motobécane, et faire le trajet jusqu’à chez lui, presque dans un état second. Je ne suis pas encore arrivée que je suis déjà en pleine dissociation. J’ai de vagues souvenirs de moi devant sa porte ; je sonne et quelquefois c’est lui qui m’ouvre, quelquefois c’est sa soeur. J’entends le son de leurs voix. Je revois certaines expressions sur leurs visages. Je me vois prendre le couloir et entrer dans son bureau, dont la porte se referme sur moi comme une sentence. Quand j’y penserai des années plus tard, l’image qui me viendra à l’esprit sera celle d’une prison. C’est ce que je dessinerai également pour illustrer mon trauma : un corps portant une armure, sans tête, un énorme cadenas autour du cou. La sensation d’être emmurée vivante.