Entretien avec Marisa Magan – La Fabrique de la réalité
Quel a été votre sentiment quand votre livre est paru ?
J’ai éprouvé une grande joie. J’ai été très heureuse que mon long travail de recherche et d’écriture soit récompensé par sa publication, me permettant de partager ce travail avec le public.
Quels ont été les retours des premiers lecteurs ? Que vous ont-ils dit sur votre livre ?
Mes premiers lecteurs ont été intéressés et frappés d’abord par le sujet, « La Fabrique de la Réalité » puis par l’originalité de mon approche pluridisciplinaire. Certains, ayant un cursus de formation universitaire en psychologie, m’ont dit que ma manière de développer la question « comment construisons-nous notre réalité vécue ? » leur semblait inédite, car ils n’en avaient jamais entendu parler de cette manière, même pour ceux qui connaissent déjà un peu la pensée constructiviste. Le plus beau compliment qui m’a été fait est celui d’une lectrice qui m’a exprimé son sentiment d’avoir entre les mains une synthèse des éléments les plus importants à connaitre pour comprendre comment l’humain fonctionne vis-à-vis de la réalité.
Certains lecteurs ont beaucoup aimé ce que je dis sur le langage et la façon dont j’explique comment l’entrée dans le langage modifie complètement notre rapport au monde. Aujourd’hui, en tant qu’adultes, nous avons également beaucoup de choses à comprendre sur la façon dont notre langage fabrique en grande partie notre réalité ; à partir du moment où nous nous racontons intérieurement notre expérience, par exemple, nous sommes rarement conscients que la façon dont nous nommons et décrivons les faits va considérablement déformer, voire transformer celle-ci, pour le meilleur ou pour le pire. Car l’expérience que nous faisons de nous-mêmes, de notre vécu ou des autres, et la façon dont toute réalité nous apparait, dépendent grandement de la façon dont nous les décrivons : c’est ainsi que nous solidifions et fixons les choses et qu’elles deviennent de moins en moins susceptibles d’être remaniées. Comme le dit le psychanalyste Donald Spence, « Une fois qu’une construction donnée a acquis une vérité narrative, elle devient tout aussi réelle que n’importe quelle autre sorte de vérité ». Certains de mes lecteurs, instituteurs ou travaillant auprès d’enfants, ont estimé que la façon dont j’éclaire ce phénomène était difficile à trouver dans les ouvrages de psychologie de l’enfant ou même des sciences du langage.
Que retenez-vous de cette expérience d’édition par rapport à votre travail d’écriture ? En avez-vous tiré des enseignements ?
Cette expérience d’édition m’a appris à faire un travail d’écriture qui rende compréhensible, pour un public assez large, des connaissances plutôt pointues dans chacune des disciplines que j’aborde ; j’ai beaucoup travaillé pour les expliquer sans dénaturer leur fond ni les édulcorer, sans toutefois faire de la « vulgarisation ». Un des enseignements que j’en ai tiré a été d’éviter deux types de méprises qui apparaissent souvent dans notre approche de la réalité et dont le discours des gens témoigne fréquemment. La première consiste à croire que nous sommes simplement les « victimes » des circonstances extérieures et des comportements d’autrui ; cette croyance écarte l’idée que nous avons une part de responsabilité dans ce qui se produit dans nos relations avec les autres et dans la façon dont nous faisons face aux circonstances que nous n’avons pas choisies. La deuxième méprise consiste, à l’opposé, à croire que nous avons l’entière responsabilité de ce qui arrive du fait que notre expérience dépend en grande partie de nous, au sens de la théorie constructiviste que j’ai exposée dans cet ouvrage. En exprimant cette idée que nous construisons en grande partie nous-mêmes notre réalité, j’ai donc dû être vigilante pour ne pas donner au lecteur l’impression désagréable que je versais moi-même dans l’une ou l’autre de ces deux méprises.
Quelle est l’originalité de votre livre selon vous ? A-t-elle été perçue par vos premiers lecteurs ?
Oui, je crois que l’originalité de mon livre a été perçue par mes premiers lecteurs. Avec les apports de la psychologie, de la psychanalyse, des sciences sociales, il peut nous sembler évident, aujourd’hui, que ce n’est pas un événement lui-même et par lui-même qui compte, mais la manière dont le sujet le vit. Toutefois j’observe que malgré le savoir immense déployé par la psychanalyse, la psychologie et la philosophie, les individus « « éduqués » que nous sommes continuons cependant, assez fréquemment, de façon presque réflexe, à considérer nos problèmes comme s’ils avaient surgi de l’expérience de la réalité externe ; cela veut dire que nous avons l’impression que nos problèmes intérieurs nous « sautent à la figure » comme s’ils n’avaient pas été en grande partie construits par nous-mêmes, comme si notre façon de les penser et de nous les raconter au moyen du langage n’étaient pas partie intégrante de ces problèmes eux-mêmes. Je crois donc que nous sommes nombreux à n’avoir pas profondément intégré ce qu’implique ce savoir, à n’avoir pas tiré toutes les conséquences de ce qu’il nous apprend.
Une des raisons à cela, (mais ce n’est évidemment pas la seule) c’est que notre rapport à la réalité, dans les ouvrages de psychologie ou de psychanalyse, n’est pas expliqué de façon complète, car pour en avoir une explication complète, il faut justement croiser de nombreuses disciplines et pensées (philosophique, phénoménologique etc). Certains de mes lecteurs m’ont témoigné de leur surprise quant au fait qu’ils n’avaient jamais lu, auparavant, un ouvrage décrivant la façon précise dont la pensée contribue à construire la réalité comme le fait mon livre.
Je crois que l’originalité de mon livre repose sur deux autres points :
D’abord, il met en dialogue la psychologie clinique, certains courants psychanalytiques, la phénoménologie et la philosophie, en exposant les fondements philosophiques qui peuvent éclairer et étayer mon propos. Cette compilation, à ma connaissance, n’avait pas encore été faite. On trouve certes quelques explications sur la façon dont nous construisons notre réalité dans certains ouvrages de psychologie cognitive (comme ceux de la « thérapie d’acceptation et d’engagement » (ACTC) ou dans la démarche de « psychologie dialectique », mais j’apporte des explications précises et provenant de nombreux penseurs de haut niveau issus de différentes disciplines sur les différents niveaux et processus de cette construction.
Ensuite, j’amène le lecteur à comprendre comment nous pouvons ensuite déconstruire ces constructions. Car si nous réussissons à opérer au sein de cette vision de l’interrelation (entre nous et notre réalité) alors il nous devient possible de critiquer nos modes d’expériences afin qu’ils nous amènent à faire d’autres choix dans notre « saisie » de la réalité. La responsabilité me semble une notion essentielle et j’y consacre un chapitre entier. Car si nous ne sommes pas toujours responsables de ce qui nous arrive, nous sommes toujours responsables de ce que nous faisons de ce qui nous arrive. Si, par une déconstruction, nous pouvons en effet changer de l’intérieur notre expérience des autres et des circonstances extérieures, cette responsabilité devient alors évidente. Ceux qui ont vécu ou vivent actuellement une démarche de psychanalyse ou un travail de psychologie personnelle trouvent dans ce livre de quoi approfondir leur cheminement.
Comment s’est passé votre travail d’écriture ? Avez-vous une méthode pour écrire ? Des rituels ou des astuces ?
Il est le fruit de quatre ans de recherches éclairées par mon expérience de bientôt trente ans en tant que psychologue clinicienne. Concernant la méthode, j’ai collecté dans de nombreux ouvrages ce qui avait trait aux chapitres auxquels j’avais donné un titre. J’avais une vision assez structurée du livre que je voulais écrire. J’ai ensuite fait des liens entre les affirmations de tous ces auteurs et ajouté un grand nombre de commentaires issus de ma propre réflexion.
Envisagez-vous d’écrire un autre livre ? Si oui, sur quoi avez-vous envie d’écrire pour ce prochain livre ?
Oui, j’ai déjà beaucoup de matériel pour un second livre, car pour proposer aux Éditions Maïa un ouvrage qui ne soit pas trop long, j’ai laissé de côté un certain nombre de chapitres déjà écrits que je réserve donc pour un tome II, sur le même thème. Actuellement, toutefois, je me concentre sur la traduction en anglais de ce livre car je voudrais qu’il soit disponible aussi pour un public anglophone.
Marisa Magan, auteure de La Fabrique de la réalité, disponible sur le site des Editions Maïa. Cliquez ici pour le découvrir.