Entretien avec Jacques Lambert auteur de èvrika

Entretien avec Jacques Lambert auteur de èvrika

Quel a été votre sentiment quand votre livre est paru ?

La sortie d’un livre représente toujours un double plaisir pour moi ! Evrika est devenu mon huitième livre publié… 

Le plaisir de la découverte d’un objet nouvellement créé tout d’abord. On n’avait jusqu’alors jamais pu le deviner qu’en simples plans d’ordinateur, en projet, en utopie presque. Et le voilà qui, brusquement, apparaît devant vous, et cette fois de façon bien réelle. Une jolie édition, ça rend forcément fier. Et c’est bien le cas, ici !

Mais il y a aussi ce bonheur puissamment ressenti de s’être cru capable, une fois de plus dans sa vie, de maîtriser une œuvre diabolique, récalcitrante, rébarbative et revêche ! Mais que chacun le sache bien, les vastes textes à rédiger se présentent toujours ainsi lorsqu’on est forcé de les travailler, jour après jour, durant des mois ! Et voilà qu’enfin, on finit par croire, à tort ou à raison, que nous sommes parvenus à la débourrer proprement !…

Mais ces plaisirs-là, bien sûr, resteraient égoïstes s’ils ne renforçaient pas encore l’idée, déjà puissante en soi, d’un partage aussi vaste que possible… C’est une évidence : plus on est fier de son travail, et plus on souhaite le voir partagé parmi tous…

Quels ont été les retours des premiers lecteurs ? Que vous ont-ils dit sur votre livre ?

Un livre rebelle, cela rebute toujours un peu le grand public, je crois… Avec Evrika, j’en suis davantage encore persuadé ! 

La critique la plus dure qui me fut faite – très vite, hélas ! – prétendait qu’il ne s’agissait là « de rien d’autre que d’un livre blasphématoire ! »… Allons, allons, n’exagérons tout de même rien ! Evrika n’est pas un essai philosophique que je sache, mais un simple roman, frisant le conte, le surréalisme, et flanqué d’un imaginaire a priori  totalement débridé ! Il s’agit donc bien là d’une œuvre de fiction pure, dans laquelle tout lecteur un tantinet mature reste libre d’apprécier ou non, de blâmer ou non, les pensées, idées ou actions engagées par divers personnages… Il m’est arrivé de lire parfois des livres bourrés de meurtres et d’exactions redoutables ; à leur sujet, je n’avais pourtant jamais entendu de critiques osant qualifier ces œuvres d’appel au vol, au viol ou au meurtre… 

Un autre lecteur s’était toutefois contenté de me dire avoir constaté, mais a priori sans reproche apparent de sa part, que je m’en étais « donné à cœur joie, avec les règlements de compte vis-à-vis de l’Eglise, mais aussi des autorités. ». Je reconnais volontiers cette fugace outrecuidance rebelle ! Eh oui, ça, c’est mon mignon petit côté indocile revanchard  !… Mais quand, les yeux grands ouverts, je crois voir poindre, de partout dans le monde, autant d’extrémismes religieux et de sanguinaires dictatures, quand il me faut déplorer autant de poussées d’extrêmes droites racistes et homophobes, glorifiant la religion, mon inquiétude innée ne cesse alors de croître de manière un rien plus agressive, et de me souffler à l’oreille que de grandioses  explosions pourraient se préparer bientôt et nous surprendre tous un jour proche. Le passé ne meurt jamais et laisse des traces à vie…

Que retenez-vous de cette expérience d’édition par rapport à votre travail
d’écriture ?
En avez-vous tiré des enseignements ?

En ce qui me concerne, dès lors qu’elles ne touchent pas à l’expression fondamentale des textes proposés, qu’elle ne les dénature pas, j’ai toujours trouvé normal et parfaitement compréhensible de recevoir des maisons d’édition un certain nombre d’exigences littéraires quelquefois rébarbatives. Les qualités de la forme et du fond, ça ne se brade pas…

Ces procédures protègent en effet la notoriété, et des auteurs, et des maisons les publiant. Et quand on sait déjà la difficulté de l’obtenir, puis de la conserver… 

Mais la reconnaissance, elle, vient aussi des lecteurs. Encore faut-il pour ça qu’il connaisse déjà votre existence…

Quelle est l’originalité de votre livre selon vous ? A-t-elle été perçue par vos premiers lecteurs ?

Plutôt que raconter des histoires élaborées, j’adore surtout pratiquer le mélange des genres sur un sujet donné, créer des ambiances diverses, mais aussi dépeindre tous ces instants précieux, ambigus très souvent, séparant rêves et réalité et pouvant laisser parfois pantois le lecteur… Sans prétendre y parvenir totalement, je me débrouille en ce sens aussi bien que je peux, de toutes mes forces en tout cas… 

Et quand je tombe en panne – eh oui, cela m’arrive aussi ! -, eh bien, je fais comme tout autre créateur ferait : je patiente, je patiente, je patiente… 

Et prie, pour que me viennent en aide et m’inspirent d’urgence, les Bergman du Septième sceau, Fellini d’Amarcord, Kurosawa de Dreams, Audiard d’Emilia Perez, Vian d’Arrache-cœur, Kafka du Château, Kazantzakis de La vie ou la mort, et tous ces joyeux drilles, extravagants, béatifiés en ribambelle aux paradis du cinéma et de la littérature… Ben, tiens ! Qu’ils en prennent donc conscience, je les ai tant aimés que je considère sans gêne qu’aujourd’hui, ils me doivent un peu ça ! 

Car ce sont eux, mes vrais inspirateurs, avec qui quelquefois je me fâche !… Ils sèment en moi souvent le doute, me répétant mille fois que je ne possède bien sûr pas leur talent. Je sais qu’ils ont raison et je me tais… Mais quand, de temps à autre, mon ego daigne sortir, d’un bond fougueux, tempêtueux, cela devient alors tout différent : c’est pour lancer, juste d’une grande voix hurlante, à tous ces génies arrogants qui écrasent : « Ah, c’est bien vrai ça, que vous non plus, ne possédez guère le mien ! ». Et ça nous fait rire en réalité et nous réconcilier… 

C’est de la sorte que je souhaiterais toujours écrire mes livres… On peut en apprécier le style, bien sûr. Ça peut aussi faire reculer certains… 

Deux lecteurs à qui j’avais tout de même demandé de me dire ce qu’ils avaient compris d’Evrika m’ont raconté deux histoires fort semblables, certes, mais de textures totalement différentes !… L’histoire est simple, ultra simple, c’est vrai. Certains, n’ayant pas aimé le livre, la traiteront peut-être même de  simpliste ! Et pourquoi pas ? On est libre, après tout !… Et pourtant ! Des cerveaux bouillonnent sans cesse en ce livre. Cette succession géante de rêveries, rêves et réalité s’entremêle à ce point qu’elle déconcerte pas mal de gens qui finissent par se perdre ! Quand je vous disais que cela pouvait laisser sur le carreau des lecteurs pantois !…

Comment s’est passé votre travail d’écriture ? Avez-vous une méthode pour écrire ? Des rituels ou des astuces ?

D’habitude, j’écrivais toujours en progressant dans l’ordre classique du récit. Banal, a priori. Mais sans plan, ni structure établie d’avance, qui représentent, selon moi, d’effrayants étouffoirs pour l’imagination. Bien entendu, cette manière de procéder ne peut concerner que des récits pareils aux miens, où l’imaginaire, le fantasque et le fantasme prédominent de manière claire. Il est évident que si vous faites du Simenon, si vous écrivez L’assassin habite au 21, ou si vous scénarisez un film d’Hitchcock, c’est sûr qu’il convient dès lors de créer d’emblée ces plans et structures essentiels, car nous entrons là dans des univers de machineries subtiles. 

En ce qui concernait ma formule d’écriture, j’avais donc pris l’habitude de voguer sans plan, ni structure ; mais sans non plus avoir en tête la moindre idée des comment se poursuivraient, le lendemain, toutes les choses essentielles de mon livre. J’allais ainsi, forcément, moi-même, de surprise en surprise, naviguant sans balises, ni compas, ignorant tout des destins du lendemain. S’il arrivait à l’écrivain d’avoir déjà le sentiment de tout connaître du futur immédiat de son œuvre, il y a fort à parier qu’il en serait de même pour le lecteur. A quoi aurait-il pu servir encore de l’écrire ? Et au lecteur, de le lire ?…  Cette manière de procéder me procurait, faut-il le préciser, plein de plaisirs intenses… 

Et j’écrivais ainsi chaque jour,  ou presque, comme je lisais, gamin, les interminables feuilletons des gazettes d’antan… 

Avec La cité des merveilles toutefois, il m’arriva un soir de découvrir, par pur hasard  encore d’inspiration, une porte privilégiée pour me sortir enfin de l’œuvre. J’étais le seul à pouvoir la connaître, car indiscutablement non devinable par le lecteur. Ce fut une catastrophe qui me paralysa : je venais de me rendre compte que le plaisir d’écrire m’avait subitement abandonné, devenant un fardeau à porter, une punition à subir, un travail lourd à supporter. Ces pages ne m’apporteraient plus la moindre surprise puisque je savais tout de leur tenant. Il n’existait plus de création possible. Il m’avait alors fallu consacrer presque autant de temps pour terminer les dix dernières pages de mon livre, dont je connaissais à présent en détails le contenu, que pour écrire les deux cent premières, dont j’ignorais pratiquement tout…

Pour Evrika – et c’est la première fois que j’agissais de la sorte -, j’avais alors décidé de changer totalement de méthode : après avoir défini de très vagues limites au sujet qui me préoccupait, l’exploration d’une ville par un immigré tentant de s’y implanter, je travaillerais dorénavant, en priorité, dans l’immédiateté de fragments qui me semblaient, ces jours-là, les plus plaisants de l’œuvre ; cela me ramènerait aussitôt le plaisir ou l’extase d’écrire ; mais très logiquement aussi, me plongerait dans le désordre le plus profond, le plus complexe des séquences ou chapitres du livre… Les personnages, créés souvent par purs hasards d’inspiration, n’éprouvaient pas toujours, entre eux, de véritable estime. Ça, je m’en étais rendu compte très vite. Même s’ils parlaient très peu les uns des autres, ils finissaient tout de même par se croiser un jour et quelquefois se rencontrer vraiment. Et c’est ainsi que naquît peu à peu le semblant d’une histoire que je n’avais pourtant pas recherchée au départ… 

En finale, et tout comme pour un film qu’on tourne souvent dans le désordre pour des questions techniques, dispositions de comédiens, raisons financières ou autres, il convenait d’attribuer leur place à ces nombreux fragments d’écriture dans un suivi cohérent. Une tâche difficile mais passionnante à mort ! Car là, j’avais encore bientôt à me coltiner durement, avec quantité de problèmes à régler pour satisfaire pleinement la cohérence de l’œuvre : contrôles nombreux et rectifications fines de textes à devoir apporter… 

Face au fastidieux puzzle d’Evrika,  je retrouvais là, soudain, une vraie besogne de cinéaste : le montage. Et le bonheur immense qui va avec…

Ai-je des rituels, d’autre part ? 

Non, sinon que je vis la nuit. Dans la tranquillité ou l’exubérance de la nuit, toutes deux éminemment propices aux exercices sévères de création, devrais-je plutôt préciser. Toute impression me semble amplifiée de manière gigantesque en période nocturne… C’est pourquoi mon cerveau fonctionne aussi beaucoup mieux dans l’obscurité et le silence de la nuit. C’est comme ça !…

Envisagez-vous d’écrire un autre livre ? Si oui sur quoi avez-vous envie
d’écrire pour ce prochain livre ?

J’ai commencé l’écriture d’un nouveau livre, début 2024 déjà. Je souhaiterais le voir terminé au plus tard fin de cette année 2025. On peut toujours rêver ! Et comme le rêve n’est pas encore punissable… 

Il constituera le dernier tome d’une trilogie ayant commencé avec La cité des merveilles, dont le lancement, hélas, se solda par une monstrueuse explosion, et la sidération du pire !… La cause de cet échec ? La petite maison d’édition avec laquelle, sans me soucier de rien, je venais de signer le contrat, faisait faillite huit ou dix jours plus tard !…Mais je puis fermement certifié que mon livre n’a eu aucune responsabilité dans la fermeture de cette maison !… 

Le deuxième tome est bel et bien Evrika, dont je viens de parler longuement et qui, bien sûr, se lit et se comprend sans la moindre connaissance nécessaire du livre précédent. Tout au plus y-a-il, au cœur de ce texte de près de deux cents pages, dix ou quinze lignes peut-être, faisant clairement référence à La cité des merveilles… 

Et le dernier tome sera L’étricorchure du Mégotier, en pleine écriture donc, actuellement. 

Ce qui me paraît drôle ? 

Non, ce n’est pas tant le titre en soi, mais le fait que, pour la première fois, il m’est donné de le connaître au début du travail ! D’habitude, je le cherche dans des errances pouvant durer des mois… Ne vous précipitez pas cependant sur votre dictionnaire pour connaître la signification de ce mot neuf pour vous d’étricorchure, vous perdriez tout simplement votre temps ! Je me contente de le materner secrètement chez moi ! Mais il se laisse, je pense, assez facilement deviner… 

C’est vrai que J’ai pris l’habitude, dans chacun de mes livres de fiction, d’inventer et placer deux ou trois mots  nouveaux, généralement compréhensibles par tous ! A ma manière, j’espère ainsi contribuer, avec humilité, à l’enrichissement de la langue française, en lieu et place de l’Académie française dont ce serait pourtant le rôle primordial, mais qui reste désespérément enfouie, silencieuse et inerte, dans l’immense discrétion polie qui la caractérise !

Il m’est même arrivé d’avoir reçu un jour un coup de fil étonnant d’un professeur d’université. Elle – c’était une femme – aurait souhaité pouvoir me rencontrer pour m’interroger sur ces mots curieux que j’utilisais quelquefois dans mes livres, voulant connaître surtout leur origine linguistique ou dialectale qui lui demeurait inconnue. Elle fut déçue d’apprendre que je les avais inventés de toutes pièces !…

Actuellement, j’écris L’étricorchure du Mégotier selon ma méthode « puzzle » utilisée pour Evrika… Comment, en effet, vouloir et pouvoir  partager de véritables moments de plaisir de lecture, si, d’abord soi-même, on n’en a pas ressenti une charretée complète à l’écriture ? Et cette méthode me réjouissant le cœur et l’esprit, je pars ainsi, chaque jour en courant, m’assoir vite à mon bureau pour bichonner amoureusement L’étricorchure du Mégotier ! Il deviendra pourtant peu à peu une œuvre diabolique, récalcitrante, rébarbative et revêche qu’il me faudra alors tenter à nouveau de dompter. La vie est un éternel recommencement…

Mais je souhaiterais ne pas encore parler de ce livre ! Sait-on jamais que je ne parvienne pas à le débourrer proprement cette année ? 

Top secret total donc ! 

Si ce n’est pour dire tout de même qu’il s’agira d’une œuvre de structure similaire aux deux précédents titres, qui devrait vous en faire voir de toutes les couleurs, bougrement donc, et pour le rire, et pour les pleurs, côté rebelle surréaliste inclus, naturellement !

Jacques Lambert, auteur de èvrika, disponible sur le site des Éditions Maïa. Cliquez ici pour le découvrir.