Entretien avec Christelle Manant – La lumière brille dans les ténèbres
Quel a été votre sentiment quand votre livre est paru ?
L’écriture et l’édition sont deux processus différents. Et si un livre est une longue promenade intérieure, il ne naît qu’au moment de son édition. Être édité c’est récolter le fruit d’un long travail, mais ce n’est pas une fin en soi. Au contraire. C’est au moment où le livre est édité que doit s’incarner l’écrivain. L’expérience de l’édition est une épreuve. L’épreuve de la terre et de l’introspection. Si je suis écrivain, quelle est la tessiture de mon œuvre ? Est-elle conforme à ce que je suis ? J’ai beaucoup mis de temps à répondre à ces questions et ceux qui m’ont aidé à y répondre sont mes tous premiers lecteurs. C’est eux qui m’ont fait prendre conscience que ce livre me ressemblait plus que je ne l’aurais imaginé.
Quels ont été les retours des premiers lecteurs ? Que vous ont-ils dit sur votre livre ?
J’ai la chance d’avoir un lectorat très large. Certains de mes lecteurs se sont laissés bernés par le caractère irascible et caricatural de mes héros, voire ont ressenti un déplaisir à les rencontrer ; quand d’autres ont été sensibles à l’alchimie de la philosophie de Dante et au secret de mon héroïne, ou se sont délectés du ton satirique et sarcastique qui jalonne mon livre et au regard sans complaisance que je brosse de notre époque. Tout est une question de sensibilité et d’état d’esprit au moment où on se plonge dans mon livre. Mais tous ont été très surpris par la fin où tous les personnages tombent le masque et se dévoilent. Tout le puzzle du livre prend forme. D’ailleurs le héros n’est peut- être pas celui que l’on croit…
Que retenez-vous de cette expérience d’édition par rapport à votre travail d’écriture ? En avez-vous tiré des enseignements ?
L’acte d’écrire est une invitation à plonger dans ses propres ténèbres, de prendre conscience que la liberté d’écrire ne s’acquiert qu’au prix d’une transcendance de ses défauts ou au contraire dans l’exacerbation de ceux-ci ; c’est pourquoi, selon moi, l’auteur à aucun moment ne peut être relié à son lecteur jusqu’au point final ; pourtant, tous les deux se rejoignent au moment où l’auteur est édité. C’est là toute la magie de l’édition, rendre perceptible la mécanique des mots. Ce livre ne m’appartient déjà plus…à mes lecteurs et à mon éditeur de le faire vivre tout comme je l’ai poussé à naître. Moi je retourne dans l’ombre, car la seule place confortable de l’écrivain est derrière son écritoire, enrichi par l’expérience de son travail achevé et la quête d’un autre territoire à explorer. D’ailleurs je me sens plongée dans la même effervescence qu’un laboureur au temps des moissons : emplie d’un élan fougueux mais inquiète de voir un vaste champ vierge après le passage de la faux.
Quelle est l’originalité de votre livre selon vous ? A-t-elle été perçue par vos premiers lecteurs ?
Ce que j’ai surtout voulu montrer c’est l’impermanence de l’amour, l’inconstance des sentiments, un mal qui ronge notre époque. Notre premier amour devrait d’abord être celui de soi-même. L’amour où on se cherche dans le regard de l’autre n’est pas fait pour durer, car un jour on change et le relief que l’autre nous renvoie n’a plus la même envergure et ce qu’on y voit peut nous déplaire, alors on part. Nous vivons la plupart du temps dans l’amour désir pour se combler soi-même. Au début du livre Graziella quitte Turin et son mari à cause de son infidélité. Le lecteur découvre une âme trompée trahie, qui erre davantage plus qu’elle n’habite ce monde, malgré les apparences qu’elle veut donner à ceux qui la croise. Graziella sera poussée à changer au fil du livre, à se regarder telle qu’elle est, à dépasser ce statut victimaire pour se guérir, ou mieux : apprendre à s’aimer. J’ai écrit un livre sans pathos, aussi je me suis appuyée sur le symbolisme qui bien souvent est la clé capable d’ouvrir le coffre de notre conscience, notre profondeur y compris nos propres abîmes et cela le lecteur sent dès le départ que cette atmosphère est à la fois dans la conscience et dans la réalité de mes personnages. Chaque chapitre ou presque est illustré par un tercet de la Divine Comédie. Certains de mes lecteurs m’ont fait part du plaisir qu’ils ont eu à découvrir Dante et sa Divine Comédie ; Dante qu’ils ne connaissaient qu’à travers quelques lieux communs, vaguement, tandis que d’autres lecteurs plus érudits ont été ravis de retrouver sa poésie et sa philosophie. Cet hommage me tenait à cœur car Dante est un mentor hors du commun dont l’œuvre ne cesse de m’émerveiller et de me bousculer. Cette année nous fêtons son 700eme anniversaire et je regarde cette coïncidence comme un signe d’avoir été guidée…
Comment s’est passé votre travail d’écriture ? Avez-vous une méthode pour écrire ? Des rituels ou des astuces ?
C’est le vertige d’un commencement qui consume l’écrivain, comparable à une obnubilation, une nécessité et non un choix qui pousse à l’écriture. Ce vertige est du même ordre que celui de l’état amoureux ; un désir fou de se surpasser, de s’améliorer dans le désir de beauté, non pour plaire à l’autre, mais à soi-même. C’est un travail colossal qui ne s’achève jamais. Aussi, il faut s’écouter, méditer, lire de la poésie, regarder le monde différemment, faire un aller- retour entre terre et ciel, douter. Beaucoup douter. Cependant, il n’y’a pas de recette miracle, seul le travail et sans doute une foi mystérieuse mènent à une inspiration harmonieuse. En littérature on ne fait que retranscrire ce que d’autres avant nous ont un jour observé et la moindre des choses est de regarder cette feuille blanche se noircir avec la plus grande humilité et la plus profonde gratitude. Ma grande force est d’avoir écrit dans le plus grand des secrets. Et c’est très confortable d’être attendue nulle part …
Envisagez-vous d’écrire un autre livre ? Si oui, sur quoi avez-vous envie d’écrire pour ce prochain livre ?
Depuis un an pousse l’idée d’un autre roman qui est déjà en cours d’écriture sur le thème de l’infanticide et du mythe de Médée. J’aime lire des romans qui me mettent un coup sur la tête, comme Kafka aime le dire ; et écrire sur les plus grands défauts de l’humanité est un leitmotiv qui repousse mes propres angoisses jusqu’à la limite de l’absurde qui est l’ossature de ma tragédie littéraire…
Christelle Manant, auteure de La lumière brille dans les ténèbres, disponible sur le site des Éditions Maïa. Cliquez ici pour le découvrir.