Un condensé des moments forts d’images mentales et sensuelles que le jeune Slimane a enregistrés de son histoire et de celle de son pays. Dans une fresque d’une société stressante mentalement et émotionnellement, ce jeune vivra les contradictions des normes morales et les contraintes sociales en ayant compris que son existence n’était pas conforme aux coutumes et surtout, qu’elle était religieusement incompatible. Il le savait qu’il n’était pas obligé de suivre de l’extérieur ces « valeurs morales ». Son expérience intérieure, l’amour de sa famille maternelle l’ont guidé vers une dignité inviolable. Il ressentait la valeur transcendante des normes morales naturelles dans ses liens avec la sagesse de Si Mokhtar, son admiration pour le courage et l’intégrité du héros tragique qu’était Larbi, le juste milieu de son oncle Mohamed, la bienveillance des gens simples et justes… Il avait compris qu’il fallait rester à l’extérieur des groupes pour éviter de développer des réflexes dont certains pourraient le rendre esclave. Il avait compris que la pensée binaire d’un monde un et continu, si elle est inévitable pour avancer dans les choix, elle ne pourrait jamais apporter le bonheur. Seule l’harmonie et le juste milieu pourront éviter l’absurde et sauver l’être humain. Tout le mystère est entre le hasard et le destin.

Extrait

Un samedi, un mois de décembre très triste, des nuages sombres qui s’amoncelaient, avec l’effroi de la guerre, une peur sourde envahissait Slimane. Ses doutes et un manque de confiance stimulaient une énergie débordante. Il cherchait un exutoire. Le froid, les démangeaisons des engelures, ses galoches serrées, il en était prisonnier. Son esprit vaseux et l’étouffante recherche de comprendre ce qui n’allait pas, tout l’enfermait. Il lui fallait une échappatoire. Seul Larbi pouvait le libérer.
Décidé et très tendu, il alla retrouver son protecteur Larbi à l’autre bout du village. Pour la première fois, c’était Slimane qui parlait et Larbi qui l’écoutait religieusement malgré les sept ans qui les séparaient. Très surpris, ce dernier découvrait l’autre facette de son ami : un défi spontané de liberté et une attitude folle et dangereuse. En sentant l’humus de la terre et la joie de cette balade de liberté, ils s’étaient retrouvés à marauder dans les vergers d’oranges du colon. Le sourire en coin, Larbi voulait faire comprendre certaines idées à son protégé. Les oranges jaunes semblaient illuminées comme des vers luisants. En ordre serré, comme à l’armée, frappant fort le sol, de son pied, Larbi faisait le clown et chantait :

Allons enfants de la Patrie
Le jour de gloire est arrivé !