Entretien avec Gilles Ribault – L’amour d’un maître
Quel a été votre sentiment quand votre livre est paru ?
Le sentiment d’une rencontre, d’une belle rencontre. Les dialogues que j’avais écrits, les corrections que j’avais apportées, l’image de couverture que j’avais choisie… tout cela, je l’avais devant moi. J’avais été impatient de savoir à quoi ressemblerait ce livre. Désormais je l’avais entre les mains, je pouvais le regarder, le feuilleter, le sentir, le soupeser. J’avais sous les yeux une chose matérielle qui donnait corps à une pure chimère de mon esprit. Ça fait quelque chose !
Quels ont été les retours des premiers lecteurs ? Que vous ont-ils dit sur votre livre ?
Je n’ai pas eu de mauvais retours car bien sûr, les lecteurs qui n’ont pas apprécié ont préféré garder le silence. Une amie, en revanche, m’a dit que l’histoire ne l’intéressait pas (c’est dire que c’est une amie ! D’avoir eu cette franchise, je lui suis très reconnaissant). Ce qui a fait l’unanimité parmi tous les autres avis que j’ai recueillis a été la fluidité de l’écriture, le rythme des échanges et le caractère bien trempé des personnages. Tout particulièrement la puissance d’Héloïse qui rayonne, manifestement portée par l’amour que je lui voue depuis ma lecture de ses superbes lettres. Les lecteurs qui connaissaient déjà l’histoire des deux amants ont tout particulièrement apprécié la pièce.
Que retenez-vous de cette expérience d’édition par rapport à votre travail d’écriture ? En avez-vous tiré des enseignements ?
J’ai tellement retravaillé le texte pendant la phase finale de correction que je finissais par avoir honte vis-à-vis de la correctrice. Il m’est arrivé très souvent de modifier une phrase que la veille pourtant, je trouvais parfaite. A chaque fois que l’on se relit, on relit autrement. Il suffit de faire résonner une phrase un peu différemment et tout d’un coup, le sens flotte, le rythme cloche, la musicalité s’évanouit. Alors il faut réaccorder, rectifier et ajuster, encore et encore. C’est certes un travail sans fin mais certainement pas vain. De l’avoir entrepris a considérablement enrichi la clarté et la précision des dialogues. Je n’ai pas d’autre image en tête que celle du ciselage de l’orfèvre. Je ne veux pas dire que le résultat est un bijou mais il est vrai que j’ai travaillé mes phrases en joailler.
Quelle est l’originalité de votre livre selon vous ? A-t-elle été perçue par vos premiers lecteurs ?
Je n’ai pas voulu simplement raconter une histoire. Elle l’avait déjà été, sous des formes surtout romanesques, il est vrai, et non pas théâtrales. J’ai voulu mettre en avant l’énigme que représente l’évolution des sentiments des protagonistes. En ce qui concerne Abélard, il est difficile de savoir, en effet, ce que devient son amour pour son épouse une fois qu’ils entrent, tous les deux, dans les ordres. Pour Héloïse, il est clair que son lien amoureux ne se relâche pas, même s’il a dû, bien sûr, se transformer. C’est la pérennité et la force de ce lien qui m’ont interpellé et m’interpellent encore. Comment a-t-elle pu aimer autant, en toute sincérité, et un homme et Dieu ? J’ai tenté de répondre à ces deux énigmes. Il n’était pas question de m’esquiver. Plus profondément, la pièce met en scène une certaine idée de l’amour. Cette idée, c’est Héloïse qui me l’a fait entrevoir.
Comment s’est passé votre travail d’écriture ? Avez-vous une méthode pour écrire ? Des rituels ou des astuces ?
J’ai toujours aimé écrire mais je n’avais jamais été, jusqu’ici, l’auteur d’un texte proprement littéraire. Cela m’est véritablement « tombé dessus ». Cette pièce n’a répondu à aucun projet. Elle n’est le fruit d’aucune ambition. Ni méthode, ni rituels, ni astuces donc. L’histoire d’Héloïse et Abélard s’est emparée de moi pour des raisons que j’ignore encore. C’est un sujet que je ne connaissais pas particulièrement. De façon très paradoxale, c’est en écrivant sur eux que j’ai appris sur eux, que j’ai découvert ce que les historiens en disaient. J’ai déboulé dans leur vie, j’ai pratiquement vécu à leurs côtés pendant deux bons mois, dans une ferveur dont je ne me savais pas capable. Cela n’a pas été ma « nuit de feu » car, contrairement à Pascal, au terme de cette expérience, je ne me suis pas converti. Mais il n’y a pas d’expression plus appropriée, pour décrire ce que j’ai vécu, que celle de « moment de grâce ». Certains de mes lecteurs se demandent si je suis croyant. Je ne le suis pas. Mais d’avoir écrit ce texte m’a fait me sentir à l’étroit dans l’athéisme que j’avais toujours affiché jusque-là. Je suis, aujourd’hui, agnostique. Dieu ? Peut-être.
Envisagez-vous d’écrire un autre livre ? Si oui, sur quoi avez-vous envie d’écrire pour ce prochain livre ?
Parce qu’il n’y eut rien de délibéré dans ma démarche, il m’est impossible de savoir si j’écrirai encore. Si je dois le faire, ce sera, probablement, de nouveau, d’une manière totalement imprévisible. Si une nouvelle pièce m’attend, elle s’écrira d’elle-même et ce n’est pas moi qui donnerai le top du départ. Ce qui est sûr, c’est que je suis aujourd’hui nostalgique de cette période inspirée. Cela veut peut-être dire que la brèche ne s’est pas totalement refermée. D’ailleurs, je dois avouer que depuis quelque temps, certaines idées virevoltent en moi comme l’ont fait les noms d’Héloïse et Abélard, juste avant que tout ne commence. Alors ? Alors nous verrons bien.
Gilles Ribault, auteur de L’amour d’un maître, disponible sur le site des Éditions Maïa. Cliquez ici pour le découvrir.