« Le bagage mince et l’âme très lourde, je composte mon billet de première. Les toits sombres et fumeux des grands boulevards se tournent à mon passage. Un dernier lampadaire glisse derrière ma vitre, laissant à l’obscurité des rails un timide quartier de lune. Le fumet d’un café commercial investit la voiture. Je répudie l’idée d’être tentée, même à celle de prendre un médiocre thé, que je refuse tout de go jusqu’à l’étouffement, en me pinçant le nez ; de courte durée puisque le train entre en gare de Chartres. Pas une étoile dans le ciel, pas une au sol n’est gravée dans la pierre. Je progresse sur le quai en observant considérablement mes pieds. Le petit jour est poussé par son aîné, lequel se propose de remplacer l’éclairage artificiel du kiosque à journaux. Je m’arrête un court instant, voulant par ce fait me civiliser davantage aux bonnes mœurs, désirant me soumettre aux usages, en parcourant des yeux les gros titres. Hélas, oh grand hélas, n’en déplaise au kiosquier, aux aguets de mes intempestifs feuilletages, je ne trouve rien de mordant sur le papier. Quelques enjambées de plus pour être sauvée, quand soudainement, je jette mon dévolu sur la vitrine agréable d’une pâtisserie et plus particulièrement sur un plateau de religieuses au café. Sans prétexte, sans reflet, deux charmantes et délicieuses dodues se blottissent dans une boîte à gourmet. Excitée par l’envie, je m’écarte à pas feutrés vers un banc du centre-ville. Vide, libre. C’est inouï, je deviens en quelques secondes une ébouriffante gloutonne. J’ingurgite sans pouvoir m’arrêter, j’avale en goinfre sans vouloir me raisonner. Les lèvres sucrées, le visage couronné de crème, je vise l’extase comme une droguée. En quelques minutes, comme ayant respiré deux caisses de poppers, je compare ici ma crise gourmande à un shoot imprudent. La tête me tourne. Dans un état second, dû en partie à l’excès de poudre blanche dans mon sang, j’oublie mes regrets et mes peines. »