Ce livre s’intéresse au temps qui passe, particulièrement aux éventuels changements de convictions qui l’accompagnent. Est-il inéluctable que pour nombre d’entre nous, les idéaux de la jeunesse deviennent ce que nous rejetions chez nos ainés lorsque nous étions adolescents ?

Le héros, âgé d’une cinquantaine d’années, se sent dépassé par les nouveaux standards, les mœurs, les façons de communiquer, consommer, s’informer… d’aujourd’hui, et ce jusqu’à modifier sa façon de penser et voir le monde, quitte à faire siennes des convictions qu’il a jusqu’ici rejetées.

Conscient de sa perte de repères, il affiche un optimisme désenchanté, refusant la sinistrose, réagissant au contraire avec un humour particulier à ce qui pourrait être traumatisant. Cela modifie-t-il pour autant ses pensées, ou cela ne sert-il qu’à accepter l’inévitable ?

Ce à quoi est confronté ce personnage, nous sommes tous susceptibles d’en être victime. Entre défaitisme ou bienveillance de bon ton, il existe d’autres issues.

Extrait

Le plus souvent on parle ça sert à rien. La météo, les gosses, passe moi le sel… On imagine que c’est assez pour faire fonctionner la boutique. Le plus souvent c’est le cas. On tourne autour du pot (on l’invente, on l’imagine, comme tu préfères), on ménage le nombril, on occupe les consciences ou les paresseux avec des paroles insipides et tout le monde fait semblant. Ca fonctionne très bien. Du coup c’est la règle, non ?… Non ? Quelques uns ne rentrent pas dans le jeu mais bon, quelques uns.

Le pouce de l’homme glisse lentement sur l’écran du smartphone alors qu’il relit ce qu’il a écrit dans le train, à peine conscient du paysage flouté par la vitesse, du balancement monotone quoiqu’imprévisible, des sons presque comme d’habitude. Il glisse longtemps après que l’homme a fini de relire le peu qu’il a réussi à exprimer grâce à son index. « Si Michel-Ange vivait aujourd’hui, c’est le pouce du Créateur qui toucherait celui de l’Homme », a murmuré sa fille la première fois qu’il s’est essayé sur le clavier minuscule, tard un dimanche après-midi dans le canapé du salon, le moment idéal pour dédramatiser demain avec du nouveau. Il ne s’est pas senti menacé, mais il n’a pas su répondre.

Maintenant d’anciennes photos en mode aléatoire disparaissent sur la gauche de l’écran au gré du pouce (« Ca vaut pas, papa ! Tout le monde y arrive ! »), et la netteté et la brillance des images le sécurisent à chaque fois. Des visages des monuments des paysages des plans absurdes/improbables, toujours les mêmes et jamais le même désordre mais tous révolus. Dans un autre angle de l’écran se trouve la quasi-totalité des musiques qu’il apprécie depuis l’adolescence. Il a beau s’y reconnaître et ne ressentir aucune nostalgie, quand même… Une telle quantité de vie au gré du pouce, autant d’ «avant» sur si peu d’espace, son monde en quelques centimètres carrés de technologie : autant dire une urne de son vivant. Est-ce cela l’humilité ?