Entretien avec Mickaël Roussel – La romance pour canari, Edmond Lorek Violoniste
Quel a été votre sentiment quand votre livre est paru ?
Le lancement d’une campagne de préventes a rendu possible la sortie du livre au printemps 2021, après un travail de maquettage, de relecture et de corrections. En deux mois, un objectif de 100 % était atteint en termes de financement participatif grâce à l’apport de contributeurs.
J’ai eu le sentiment d’un travail accompli tant dans le fond que dans la forme. L’appel aux contributions avait porté ses fruits, signe d’un réel intérêt pour la matière, pour le sujet, et le parcours du personnage à qui je rends hommage au croisement de l’Histoire sur plusieurs décennies.
Avoir en main enfin un livre mis en page textuellement et illustré en couleurs me donnait envie d’aller plus loin, d’en parler plus ouvertement autour de moi pour repartir en avant et en promouvoir la lecture.
Quels ont été les retours des premiers lecteurs ? Que vous ont-ils dit sur votre livre ?
Edmond Lorek (1919-2019) fut mon professeur de violon. Il avait accueilli mon projet de livres avec les bras ouverts. La lecture de deux chapitres l’avait profondément inspiré. Et il s’était revu petit enfant à imiter les oiseaux avec son instrument. Du haut de son âge, le grand monsieur est parti à l’aube de sa centième année.
La préface du livre est signée Edouard Papalski. Cet ami d’Edmond Lorek a été mon premier lecteur avant même la parution éditoriale (il a en fait lu le manuscrit). Edouard m’a longuement encouragé à travers mon projet. Ses attachements à la culture polonaise propre à ses racines ancestrales rejoignent ceux de toute une communauté.
Le préfacier choisit précieusement ses mots pour décrire « des mélodies de louange, des harmonies de reconnaissance et des romances d’admiration ». Il note « une élégance musicale, une délicate bienveillante, un humour ad libitum, une poésie imaginative, improvisant sur la diversité de la création, l’immensité de l’univers, la beauté de Dame Nature ».
Gaëtan Lorek (neveu d’Edmond) dit « bravo » à l’auteur et le félicite pour son « ouvrage très sensible et bien romancé ».
Laure a bien connu Monsieur Lorek. Elle a lu l’ouvrage d’une seule traite tant elle a adoré. « Pleins de souvenirs ont ressurgi » témoigne l’auxiliaire de vie.
« Formidable ! » s’exclame Gustave (90 ans) à propos du style d’écriture.
Jacques Kmieciak, journaliste à Liberté Hebdo, met en avant assez élogieusement « une biographie écrite d’une jolie plume et abondamment illustrée ».
Jean-Marie Ochowiec, journaliste à La Voix du Nord, titre ainsi son article : L’ode à Edmond Lorek, violoniste hors du commun.
De manière plus générale, les lecteurs estiment que le livre est « intéressant » et « bien documenté ».
Que retenez-vous de cette expérience d’édition par rapport à votre travail d’écriture ? En avez-vous tiré des enseignements ?
L’écriture du livre s’est vécue personnellement comme la traversée d’un océan de mots et de lettres. Un bon marin doit savoir naviguer. Tout comme un auteur doit rendre vivants les mots qu’il choisit. Mais il n’est jamais seul dans cette aventure.
Cette expérience d’édition (qui n’est pas la première) a été un accompagnement de la sélection de mon livre par le Comité de lecture, à la mise en page par un maquettiste professionnel. Je n’ai pas compté les interminables heures de relecture. Ma volonté était de fournir un travail irréprochable en collaboration avec l’équipe éditoriale. J’étais à l’écoute des observations et remarques du relecteur – correcteur qui a toujours fait preuve de patience. Réciproquement, il a travaillé au plus près de mes attentes.
Quelle est l’originalité de votre livre selon vous ? A-t-elle été perçue par vos premiers lecteurs ?
Le parcours atypique du musicien se découvre de page en page. La présence de l’univers musical éclaire le choix du titre (La Romance pour Canari). C’est une sorte de dédicace que je laisse à celui qui fut mon professeur de violon.
Edmond Lorek jouait un morceau de musique intitulé Le Canari, polka de Poliakin. Son imitation des oiseaux lui a valu le surnom de Canari par ses admirateurs (surnom qui lui est resté).
Enfin, le mot Romance désigne une chanson sentimentale.
Le lectorat comprendra mon sentiment profond à la musique, ainsi que mes liens affectifs envers mon professeur, qui fut quelqu’un de sentimental et mélancolique, pour ne dire romantique.
Le livre est plus précisément une biographie agrémenté de passages romancés et de parties documentaires (en lien avec le parcours du musicien). Je pense que la dénomination récit biographique convient mieux à celle de biographie romancée sans que le lecteur ne s’interroge sur une part de vérité.
Le sommaire en début d’ouvrage donne le ton. Les premières notes de musique s’ouvrent sur une ouverture. Les titres de chapitres ressemblent à des sortes de pastiches.
Le titre de la première partie (Pavane pour une enfance heureuse) mime un air de musique (serait-ce la Pavane de Fauré ?). On croit réentendre un Prélude de Chopin dans la deuxième. La Fugue en sol mineur se réinvente avec un caractère fougueux. Une lettre ajoutée au mot fugue forme le mot fougue. Le premier amour d’Edmond se donne ici rendez-vous. Après la guerre 1939-1945, Edmond Voyage en Sonatine, pays imaginaire (en fait le Maroc, la France, la Suisse, l’Espagne… les pays qu’il a parcourus musicalement avec son instrument). La dernière partie se veut une Suite non sans rappeler Les Quatre Saisons de Vivaldi que tout mélomane a plaisir d’écouter tout au long de l’année. La lecture s’achève sur un finale autour de plusieurs chants d’oiseaux (le rossignol, le rouge-gorge, et bien sûr le canari… au bon plaisir d’un oiseleur inconnu).
L’histoire de la Polonia entre en jeu de long en large. Le livre s’inscrit dans une dimension historique (immigration polonaise, Seconde Guerre mondiale, chute du Rideau de fer…) et pédagogique (il y a notamment une partie consacrée en trois pages à l’historique du violon). Il aborde plusieurs thématiques, comme le troisième âge se réclamant d’une solidarité affective et une fin de vie qui s’abandonne parfois en solitude).
Il en ressort de cette œuvre un portrait qui participe à l’hommage d’un homme modeste certes mais qui durant sa carrière de musicien a fait de belles rencontres en tout genre.
Mon livre saura toucher plus particulièrement les amoureux de lettres, de belle musique, les amateurs de violon, les férus d’Histoire… mais aussi tous les gens qui ont connu Edmond Lorek, et qui l’ont aimé, les amis, les voisins, les connaissances de connaissances…
Comment s’est passé votre travail d’écriture ? Avez-vous une méthode pour écrire ? Des rituels ou des astuces ?
Du point de vue de la méthode, l’historien se doit de rechercher et de vérifier autant que possible les sources utilisées, qu’elles soient orales ou écrites. La consultation des archives m’a permis d’approfondir l’information (documents d’état civil, dates de mariage, certificats de travail…).
Quelques données historiques m’ont servi de repères chronologiques, en partant sur les traces de l’immigration polonaise jusqu’aux années 2000.
En préambule de toute recherche, j’ai cadré chronologiquement le sujet. Ce travail en amont se complète de références bibliographiques.
Je me méfie toujours de tout anachronisme (dates, mots, expressions), qui à mes yeux est le principal ennemi de l’historien.
Dans les parties documentaires, le musicien que je suis se sert de ses connaissances musicales (utiles pour mener à bien la construction d’un texte qui se définit comme étant une biographie musicale comparable à une partition de musique).
Dans les passages romancés, les ingrédients de cuisine se mélangent avec d’autres. Je ne parlerai pas d’astuces ou de rituels mais de recettes d’écriture… A mon sens, un dictionnaire de langue française (Le Robert) reste le meilleur outil en matière de vocabulaire qu’enrichissent régulièrement mes lectures en tout genre (précis de vocabulaire, fictions, documentaires…).
L’emploi d’onomatopées peut contribuer à l’évocation de sons. Extrait aux pages 20 et 21 :
Mais un peu plus loin, le promeneur se régale à écouter le chant mélodieux de la grive musicienne : pili-èh pili-èh pili-èh… Alors que la pie bavarde en haut d’un arbre et que le pic vert semble bien rire de tant de futilités indiscrètes, pour ne dire bavardage, le merle noir flûte un joli air de musique pour mieux s’exprimer. Enfin, la mésange charbonnière phrase avec élégance deux ou trois notes par-ci par-là : titidè-titidè…
J’associe dans ce passage quelques mots à des verbes : pie bavarde, flûte, phrase.
Certains mots jonglent entre eux. Et d’interminables jeux de mots (typiques chez le personnage du livre d’ailleurs) renvoient à des passages comiques. On croit entendre parfois un Opéra burlesque !
Extrait à la page 46 :
Il n’est pas plus rusé que Maître Renard à user de combines. Le tout consiste à passer sans se faire prendre au moment opportun selon les bons conseils du voisinage. « C’est bon, on peut y aller ? » interroge prudemment Edmond. La paysanne qu’il visite au fond perdu des collines de l’Artois, à vouloir le beurre et l’argent du beurre, ne manque jamais une occasion de se remplir bien les poches. L’on entend alors comme un air d’opéra burlesque dans la scène cocasse qui suit :
– Vous avez du beurre ?
– Non, non, on n’a pas de beurre ici. Rien !
– Mais Madame, je vous paierai plus s’entête le grand garçon.
– Combien en voulez-vous ? demande victorieusement la fermière.
Phrases saccadées au demeurant dynamisent la lecture dans une rythmique plus rapide.
Extrait à la page 40 :
Alors les peurs populaires ressurgissent des ténèbres à l’approche du Grand méchant loup. Gueule de terreur pointée en avant. Museau aussi pointu qu’une lance de guerre bien aiguisée. Poils hérissés et cape menaçante. Crocs de mise à mort. Et de longues pattes pour donner de l’élan dans sa course folle. A l’appel de la bête embusquée au sommet de la tanière, la meute franchit les forêts sombres. Remonte le courant des eaux. En plusieurs bondissements. Chef mâle en tête. Impitoyable. Oreilles dressées et nez contre le vent. A l’affût de proies mortelles. Et remporte la bataille contre l’adversaire à l’issue de multiples attaques de toutes parts par effet de surprise et de rapidité.
L’auteur précise implicitement que le Grand méchant loup n’est autre qu’Hitler, et fait un rappel historique sur les événements tragiques de mai 1940…
Le choix de mots en harmonie avec d’autres peut aussi relever d’une prose rythmée.
Extrait à la page 141 :
Les jours se suivent sur les hauteurs de la colline aux oiseaux. Passants se laissent encore attendrir par les chants d’autrefois et de toujours. Tant de musiques. Tant de refrains qui
se répètent à l’infini sans jamais se lasser. Un peu plus près, l’on entend le sifflement du rossignol. Caché dans les arbres, le passereau gazouille des notes flûtées. Dans un trille éternel, le rouge-gorge bisse lui aussi la petite chanson. Naturelle et douce symphonie. Quelque peu frénétique parfois. Il y a comme un air de Canari dans les parages.
Envisagez-vous d’écrire un autre livre ? Si oui, sur quoi avez-vous envie d’écrire pour ce prochain livre ?
Je m’intéresse de très près au parcours de Paul Joseph Jules Boulet (1894-1945) né à Lespesses (Pas-de-Calais), mineur, soldat de la Grande Guerre, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, déporté du Train de Loos, décédé au camp de Dachau (Allemagne).
Il pourra s’agir là encore d’une biographie.
S’appeler Paul Boulet, c’est avoir 20 ans en 1914, la fleur de l’âge pour ainsi dire… C’est avoir comme pseudonyme Coqbat dans les rangs de la Résistance. C’est mourir pour la France.
Honorer la mémoire de Paul Boulet, c’est lui redonner vie, c’est aussi donner pleinement un sentiment d’espérance en des jours meilleurs…
Pour ce travail de recherche historique, j’ai une longueur d’avance puisque j’ai animé en 2018 une conférence dans le village natal du personnage (en présence des petits-enfants) autour de son parcours. Le titre du livre est déjà ficelé.
Mickaël Roussel, auteur de La romance pour canari – Edmond Lorek Violoniste, disponible sur le site des Éditions Maïa. Cliquez ici pour le découvrir.