C’est l’aventure extraordinaire d’une jeune veuve pourvue d’enfants qui est venue refaire sa vie « en terre barbaresque » en 1855. Née à Ischia dans une famille de pêcheurs pauvres, puis épouse d’un puisatier, elle se voit contrainte, à la mort accidentelle de ce dernier, de s’exiler à La Calle, petit port de l’est algérien. Dans cette région en cours de colonisation, on lui attribue un « lot de colonisation » de 1 ha et 10 ca de maquis vierge et aride.

Seule, elle construit son premier abri de fortune, creuse un puit, plante des légumes et se bat pour la survie de sa nichée. Malgré les réticences de l’Armée, elle noue des relations amicales avec des femmes kabyles du douar tout proche. Ensemble, elles créeront une petite communauté d’entraide, une forme de patois mêlant les langues et découvriront que leurs religions respectives présentent beaucoup de similitudes. Pour rester fidèle à la mémoire de son défunt mari, elle refuse la demande en mariage d’un capitaine français. Francesca acceptera un emploi de fossoyeur. Plus tard, elle cueillera les feuilles de palmiers nain, les fera carder et partira vendre ses crins à Naples. Plus tard encore, elle créera un verger, lequel produira des fruits jusqu’à la guerre d’Algérie (1954/1962). Les années passent. Ses enfants établis, elle peut enfin vivre dans une maison construite « en dur » par un vieux maçon calabrais. Elle s’éteint avant la fin du siècle et est enterrée en bas du cimetière marin, tout près des tombes qu’elle a elle-même autrefois creusées.

Extrait

L’installation

Puis, tandis que les enfants partent à la découverte de leur nouveau domaine, elle s’assoit sur une grande pierre plate dressée non loin de l’arbre. De là, la vue s’étend jusqu’à l’horizon infini de la mer. En contrebas, de grands roseaux encadrent la piste. Elle observe un moment les toits des gourbis formant la « mechta de la grande plage » comme l’a dénommée l’officier dès leur arrivée. Un vent d’Est léger lui apporte les senteurs des thyms, romarins, cystes et arbousiers poussant à profusion sur la colline. Les mêmes mettaient son cœur en joie dans son ile natale. Entre nostalgie et espérance, elle tente de faire le point.

Que de chemin parcouru en quelques mois !
Absorbée par les préparatifs du voyage, elle n’a pas trop eu le temps de réfléchir à son avenir. À présent, seule sur sa pierre, elle commence à réaliser la précarité d’une veuve pourvue de jeunes enfants. Et l’ampleur des tâches auxquelles elle va devoir s’atteler. Toute seule. De loin, elle scrute les mouvements des autres familles, sans doute aussi plongées dans leurs réflexions. Tous vont devoir s’armer de courage car, c’est déjà évident, cette terre aride, pierreuse, envahie d’herbes folles et d’arbustes sauvages ne donnera ni lait ni miel. Il faudra même travailler dur pour qu’elle accepte de les nourrir. Le prêtre s’est trompé…
Elle ne peut retenir ses larmes.