L’Agneau des Petits Dieux est un roman personnel, mon premier écrit.

Le sujet est la détermination de son parcours de vie par son enfance et la prise de conscience que chacun en aura, ou pas. Bien que le contexte ait pu s’y prêter, pas d’événement glauque qui n’aurait fait que me détourner de mon sujet, pour le plaisir d’un buzz aussi malsain qu’illégitime. Le personnage principal recouvre brutalement sa vue d’enfant et d’adolescent dans une tête d’adulte, lors d’un choc émotionnel profond, la mort de sa matrice, sa nourrice, « la Mamie ». La bobine poussiéreuse d’un film oublié déroule inexorablement des scènes fondatrices de son être, parfois drôles, parfois tristes, mais toujours au plus près de son ressenti.

Une enfance écartelée entre famille de sang et famille de lait, mise sous la cloche de l’internat local où règnent les petits dieux, religieux investis ou collaborateurs laïcs. Le destin d’une marionnette qui croit avoir coupé ses fils. À suivre…

Extrait de  L’Agneau des Petits Dieux  de NeBeWyae

« Merci d’avoir appelé, Emilia, à bientôt alors… »
Ma mère raccrocha le seul fixe de la maison, planté au milieu du couloir du rez-de-chaussée, excluant toute intimité conversationnelle. Les premiers craquements du bois de l’escalier se firent entendre ; je m’enfouis sous la couette et me renversai l’oreiller sur la tête tel un petit enfant dans son lit à l’approche d’une créature effrayante… La porte de la chambre s’entrouvrit, juste le temps d’entendre l’inaudible, l’impensable, l’invivable.
— Mamie est partie ce matin, courage mon grand…
La porte se referma en même temps que toutes mes issues de secours, me plongeant dans une obscurité absolue. La scène de la veille se mit à tourner en boucle. Elle nous avait tous réunis des quatre coins de France, à son chevet, dans cette chambre d’hôpital de Metz, épuisée, le souffle court, flottant déjà entre deux mondes, inquiète qu’il n’y ait pas assez de café pour tous… comme avant lors de nos traditionnelles réunions familiales dans la fraîcheur de la cave, en saison, ou dans la chaleur du poêle à bois à l’étage, hors saison. C’était donc sa façon bien à elle de nous dire adieu, en toute simplicité, de partir comme elle avait vécu, entourée des siens.
À 33 ans, j’étais bien marié, j’avais un coupé sport bleu Byzance, intérieur cuir beige, je portais des costumes de grands couturiers, je voyageais aux quatre coins du globe ; je faisais partie de l’élite financière de mon pays. Mon destin était tout tracé.
Je me sentis pourtant irrésistiblement aspiré dans les limbes d’un passé que je pensais à jamais décomposé. Je me recroquevillai dans le ventre de ma couette, tel un fœtus à la recherche du cordon perdu, comme pour me protéger de ce flux d’images, de bruits, et d’odeurs, qui émanait de ces bobines poussiéreuses qui déroulaient inexorablement le film en noir et blanc de cet enfant, au scénario écrit par de petits dieux, dans une salle obscure, déserte et sans pop-corn.
Je voyais défiler mon enfance comme on voit défiler sa vie avant de tourner la page.

Source : https://www.facebook.com/phalsbourgautrefois