Tous les chapitres de ce livre sont inspirés de faits réels, romancés pour les besoins de l’œuvre. Il débute à l’aube de la grande guerre de 1914-1918.

Pourquoi avoir écrit ce roman ? Sans doute pour porter témoignage à ces familles de toutes conditions, de toutes origines, qui ont écrit l’histoire récente de la France. Chaque lecteur retrouvera une part de lui-même à travers l’histoire particulière des personnages.

Extrait de La Maison de Lune de Patrick Bourget

Il fait frisquet en cette heure matinale. Un soleil pâle s’élève lentement à l’horizon. La brume s’effiloche au-dessus de Lyon, quittant, comme à regret, les lits du Rhône et de la Saône. Déjà les métiers s’activent bruyamment. Les canuts sont au travail.

La silhouette de Georges se découpe en contre-jour devant la fenêtre de l’office. Elancé, la main droite sur l’espagnolette, le bras gauche le long du corps, il est vêtu d’une longue veste anthracite, ouverte sur un gilet de soie claire. Le port de tête, les yeux bleus et froids, le nez aquilin, le visage émacié barré d’une fine moustache noire lui donnent l’élégance d’un jeune aristocrate.

Il observe distrait l’activité de la rue. Son regard s’attarde sur une vieille femme, toute de noir vêtue qui, comme une fourmi, chargée de ses deux lourds paniers monte, à pas comptés, le raide escalier. Puis là, deux papotent avec de grands gestes tandis qu’un livreur en bleu de travail, le dos courbé sous la charge, les dépasse en courant.

Georges et sa jeune épouse, habitaient à l’étage, dans un vaste appartement. Des escaliers permettaient l’accès à deux galeries superposées faisant le tour d’une cour intérieure. Un charbonnier était disposé vers la porte d’entrée. Le second étage hébergeait du personnel. Au rez-de-chaussée se situaient les ateliers auxquels on accédait par la rue. L’immeuble appartenait à Louis, le père de Marthe.

Georges se souvenait de ce jour de mai où, pour la première fois, il avait vu Marthe, cinq ans plus tôt. Louis, fier de Georges, son habile courtier, avait tenu à le présenter à sa famille. Alors qu’il s’inclinait devant Madame Schumacher, une jeune fille fit irruption dans la pièce. Elle avait un visage clair encadré de longues boucles brunes cascadant sur ses épaules, son regard attirait l’attention tant ses yeux étaient bleus comme les bleuets au printemps. Elle lui était apparue, virevoltante dans sa longue robe blanche, ajourée de broderies anglaises, qu’un empiècement lacé fermait chastement sur la poitrine.