Ce roman est composé d’un monologue qu’une jeune femme adresse à son époux parti pour la première guerre en 1914, sans donner de ses nouvelles. Toutes ses recherches auprès des autorités militaires restent vaines. C’est la longue lutte du plus faible contre une administration inaccessible.

Comme d’autres garçons de la région, tu es parti confiant, le sourire aux lèvres, tu m’avais promis de revenir avant un mois, le temps que les Allemands comprennent leur erreur, ce qui ne saurait tarder tant nous nous étions préparés à les recevoir. Tu m’avais assuré qu’ils se casseraient les dents sur la ligne de défense de nos frontières que notre stratège, le général Séré de Rivières avait imaginée en prévision de leur attaque dès 1874.
Hélas, nous n’avons pas eu le loisir de nous accoutumer à notre jeune vie de couple. Nous sous sommes mariés le samedi 6 juin 1914 sous un soleil éclatant. Les coquelicots parsemaient les prairies de leurs baisers carmin. Les souvenirs de ce jour qui me reviennent ressemblent à un bouquet multicolore dont je ne saurais dissocier une fleur de l’autre tant l’intensité heureuse des impressions me submerge encore pour se confondre dans une sorte de rêve. De place en place, des enfants joyeux et des femmes gardaient les chèvres et leurs cabris aux pâtures. Ils étaient assis à l’ombre d’un arbre, la cruche d’eau à portée de main et quand, juchés sur nos chariots parés pour la noce, nous passions sur la route ils se dressaient pour nous saluer en agitant leurs bras et leurs chapeaux au-dessus de leur tête.